Category Archives: graines de Paimpol

A Plourivo, il y a eu l’affaire Seznec. Ça c’est passé après la 1ère guerre mondiale à la maison forestière de Penhoat qui est devenue la Maison de l’Estuaire. Mais, il y a eu plein de journalistes qui sont venus. C’est ma grand-mère qui avec son taxi transportait des gens et aussi louait des chambres. Elle a bien connu tout ça.

C’est elle qui m’en a parlé bien plus tard. Ça a marqué la mémoire de Plourivo et il en reste encore des traces. Les anciens en parlent toujours. On n’a jamais retrouvé le corps ! Et encore aujourd’hui, le petit fils de Seznec essaye de réhabiliter la mémoire de son grand-père.

Aujourd’hui encore, le mystère reste entier.

Cathy, 60 ans

Ma mère a vécu une vie dure, dure, dure. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Elle n’avait pas été à l’école. Après, elle a appris un peu avec nous quand on a été à l’école. Par contre, compter l’argent, elle savait faire. L’argent qu’elle gagnait dans les fermes, elle le mettait dans une petite boîte en fer. Mon père travaillait aussi comme journalier dans les fermes. Ma mère m’a raconté :

– A 9 ans, on m’a mis bonne.

A 9 ans, elle travaillait déjà comme bonne dans une ferme !

Ma mère allait au lavoir. Il n’y avait pas de machine à laver et il fallait tout laver à la main. Pour les bleus de travail qui étaient très sale, elle mettait de la cendre de bois dans un torchon et elle mettait ça au fond de la lessiveuse pour les nettoyer. Il fallait faire bouillir le linge et remuer sans arrêt. Il n’y avait pas de savon autant comme aujourd’hui, c’était au compte goutte. Elle lavait le linge pour les autres aussi et ça lui faisait un peu d’argent pour sa sécurité.

Huguette, 75 ans, Kermouster

J’avais une arrière grand-mère qu’on appelait la grand-mère Bourdeau. Elle avait au moins 90 ans et elle habitait seule dans une toute petite maison à Plourivo dans la forêt. Elle n’avait qu’une seule pièce avec un lit clos et elle n’avait pas l’eau, elle n’avait pas l’électricité. Elle vivait à l’ancienne. Juste à côté, il y avait la maison de son fils et lui aussi vivait à l’ancienne

On allait les voir de temps en temps. On allait à pied chez elle dans la forêt. J’avais peut être 10 ans, c’était il y a 50 ans et je me rappelle quand on rentrait chez elle, il y avait toujours le feu dans la cheminée et elle était habillée à l’ancienne, toute en noire. Elle parlait pas mal en Breton avec quelques mots de français au milieu.

Chez elle, il y avait une odeur incroyable, ça sentait le tabac à priser et les odeurs de feu et de cuisine. Quand on allait chez elle, elle nous faisait du lapin aux pruneaux qui était excellent. Elle le faisait mijoter très longtemps sur le feu de sa cheminée. Quand on mangeait ça, c’était trop bon !

Mais ce dont je me souviens le plus, ce sont les odeurs de sa maison, les maisons ont des odeurs, cette odeur de feu, de tabac, et son odeur à elle, une odeur de vieux mais de bon vieux.

Cathy, 60 ans

Tous les jours, je fais ma balade au Lédano. C’est ma bouffée d’oxygène. Qu’il pleuve, qu’il ventre, qu’il neige, chaque jour, je sors avec le chien.

J’observe les plantes, les oiseaux, tout.

Ce matin, j’ai ramassé de l’oseille sauvage pour faire mon poisson demain. Je ramasse de la salicorne aussi et des fleurs de sureau pour faire de la confiture.

Puis, il y a les oiseaux. J’adore les oiseaux. Il y a toute sorte d’oiseaux que je vois tous les jours. Au Lédano, il y a beaucoup de chardonnerets, il y aussi de vraies tourterelles sauvages au plumage moucheté et assez foncé.

Là, où je vivais avant, j’étais aussi à la campagne près d’un cours d’eau et j’observais le martin pêcheur qui se posait sur une branche ou le héron qui pêchait. Je vais vous raconter une histoire que peu de personnes ont observée. Près de mon garage, il y avait une vigne, un matin, en partant travailler, je vois un petit oiseau qui sort de la vigne. C’était un pinson qui y avait fait son nid et qui avait pondu ses oeufs. Quelques jours après, je viens pour voir et dans le nid, il y avait un seul oiseau, très gros. Ce n’était pas un pinson. C’était un petit coucou, il avait balancé hors du nid tous les petits pinsons qui étaient nés et il prenait toute la place et en plus il se faisait nourrir par les parents pinsons. Vous savez que le coucou ne fait pas de nid et qu’il pond dans les nids des autres oiseaux. Je venais le voir tous les jours. Il a grandi et il s’est couvert d’un plumage gris moucheté et je lui parlais et il me répondait à sa façon.

Tous les ans, j’attends d’entendre le chant du coucou, c’est signe de printemps. Il y en a un que j’entends et qui chante dans la forêt de Penhoat en face et aussi, un autre sur une petite île à Lanmodez, ça s’appelle l’île aux lapins. Quand j’entends le coucou, je repense à cette histoire du coucou dans le nid du pinson.

Aujourd’hui, je continue à jeter mes miettes de pain aux oiseaux ; il y a un merle qui vient, des mésanges et j’ai un rouge-gorge aussi qui est là tous les jours. On dit qu’il y a un rouge-gorge par jardin.

Puis, il y a les bernaches qui arrivent tous les ans vers la mi septembre. Quand les bernaches arrivent, je les appelle mes copines. Il y en a beaucoup, j’en ai compté des fois jusqu’à 300 ou 400. Elles restent tout l’hiver là et elles se nourrissent dans les vasières. Quand je viens de bonne heure le matin, je les vois arriver par vol entier. Elles sont posées sur l’eau par groupes de 50 à peu près. Je nage et elles sont à 20 mètres de moi. Je leur parle, je leur dis qu’elles sont belles. Elles restent jusqu’à la mi-mars environ puis elles repartent vers le grand nord pour se reproduire.

Il y a un phoque aussi qui vient au Lédano, je lui parle aussi, je l’appelle Jojo. Je lui dis :

  • Bonjour Jojo, tu vas bien ?

C’est marrant parce qu’il me regarde comme s’il me comprenait.

C’est ma vie ici, à observer les oiseaux, les animaux, la nature. Les animaux ont beaucoup à nous apprendre. Ils sont fidèles.

Cette balade au Lédano, c’est un peu mon bonheur de tous les jours. J’ai la belle vie maintenant et j’en profite. Je suis installée là et je ne bouge plus.

Danielle

Sans mémoire, mon cerveau est un désert.

Benjamin, 9 ans.

Je m’appelle Toussaint et mon père s’appelait Toussaint et avant, il avait un oncle qui était mort en mer qui s’appelait Toussaint. La tradition à l’époque était de donner le prénom de celui qui avait péri en mer à un nouveau né dans la famille.

Je suis fils et petit fils et arrière petit fils de pêcheur du côté de mon père à Loguivy de la mer.

Mon père a été embarqué à 9 ans pour aller en mer. C’était sur un petit bateau qui faisait surtout la praire. Quand il revenait de pêche, il m’a raconté qu’il devait aller vendre les praires avec le patron. Il prenait une sorte de brouette en bois et ils partaient à pied, de maison en maison. Il faut imaginer qu’ils allaient comme ça à pied jusqu’à l’Armor Pleubian, de maison en maison pour demander :

– Qui veut des praires ? Qui veut des praires !

Et avant, mon grand-père a toujours navigué sur des bateaux à voile. Pourtant, il a connu les premiers bateaux à moteur mais il n’en voulait pas. Il a préféré navigué jusqu’au bout sur un bateau à voile.

Moi aussi, j’ai été pêcheur. La vie en mer était dure, très dure mais c’était comme ça. On était payé à la part et tout le monde devait y aller pour que la pêche soit la meilleure possible. Tu n’étais payé que si tu sortais ; il n’y avait pas de malade ou de jours fériés, de dimanche ou de repas de famille, c’est la marée et la pêche qui commandaient. Il n’y avait pas de tire au flanc.

Aujourd’hui, je travaille toujours avec la mer aux Phares et Balises.

Depuis 15 ans, je fais partie de la SNSM ; société nationale de sauvetage en mer. On est complètement bénévoles.

On doit être prêt à partir par tous les temps avec le CTT ; Canot Tous Temps. Aujourd’hui, les trois quarts des interventions sont pour des plaisanciers qui ont des problèmes de panne ou qui n’ont plus de carburant et on fait du remorquage.

Ce qui touche le plus, c’est quand tu pars sur un naufrage ; au début tu cherches les survivants et après un moment, tu cherches les corps. C’est important de retrouver le corps pour la famille.

C’est dur de faire le deuil de quelqu’un dont la tombe est vide. Alors tu cherches pendant des heures pour repêcher les morts.

C’est égoïste à dire mais on est toujours plus touchés quand c’est des gens du coin qu’on connaît, on connaît les familles, les femmes, les enfants.

Je ne suis pas nostalgique du passé, non. Je ne suis pas nostalgique du temps de la marine à voile comme certains. Il faut aller à Ploubaz sur la stèle des marins morts en mer au temps de la voile et de la pêche en Islande et de lire les 2000 noms qui y sont gravés. Ici, il n’y a pas une famille qui n’a pas perdu un enfant, un mari ou un père parti à la pêche en Islande.

Je ne suis pas nostalgique de ce temps là.

Toussaint, 50 ans.

Mon père pêchait des quantités d’ormeaux. Il en pêchait tellement qu’on en faisait des bocaux. D’abord, on les battait pour les attendrir puis on mettait les ormeaux avec du thym, un peu d’oignon, un peu de vin blanc, du poivre en grain, une demi feuille de laurier et on les faisait cuire dans une lessiveuse. On en avait comme ça pour tout l’hiver. On mangeait ça avec des patates. On les faisait en daube aussi, c’était bon à tomber !

Jacqueline, 72 ans.

J’ai la particularité d’avoir grandi et passer mon enfance entre terre et mer. Mon père était pêcheur à Loguivy et ma grand-mère était de Penhoat et elle était piqueuse, c’est à dire que c’est elle qui faisait les piqures pour les gens qui en avaient besoin. Elle avait suivi le début de formation d’infirmière dans les années 20 ou 30. Elle s’était arrêtée parce qu’en ce temps là, il fallait travailler jeune pour aider la famille.

Quand j’étais petit et qu’elle me gardait, elle m’emmenait avec elle pour aller faire ses soins. Ce qui fait que j’ai été partout avec elle du côté de Penhoat.

Après, à partir de 7 ans, nous, les enfants, nous étions très libres et on allait en bande où on voulait quand il n’y avait pas école. Ça allait de 7 à 11 ans et les plus petits suivaient et apprenaient en regardant faire les grands. On savait quand c’était l’époque des noisettes, l’époque des châtaignes. On connaissait les vergers où il y avait des pommes à chaparder. Je connais par cœur toute la forêt de Penhoat. On allait là-bas pour jouer avec les enfants de Traou Nez. On jouait dans les bois, on faisait des cabanes.

On était très libres et les parents n’avaient pas peur de nous laisser vivre et aller dehors. Il faut dire qu’en ce temps là, tout le monde se connaissait. C’est pas si vieux, c’est les années 70 mais c’est un autre monde, les gens n’avaient pas autant peur qu’aujourd’hui.

J’ai eu une enfance heureuse car j’ai eu la chance de grandir dans cette liberté.

Toussaint, 50 ans.

J’ai commencé à naviguer à 16 ans à la sortie de l’école maritime du Trieux. J’ai fait la pêche de 16 ans à 20 ans et après, j’ai arrêté de naviguer pendant 4 ans et demi pour travailler en salmoniculture sur un élevage de truites de mer. En 90, j’ai été licencié et j’ai repris la mer mais je ne voulais pas reprendre la pêche et je suis parti naviguer sur des cargos porte containers pour le commerce. J’ai été un peu partout de l’Europe du Nord en Afrique et aussi dans les Amériques.

Une anecdote, au début, on était parti de l’autre côté de l’océan en Amérique du Sud et on a débarqué au Pérou. Le premier bar où je suis rentré, qu’est-ce que je vois ? Un gars en train de faire des crêpes avec son bilik. Je me suis marré et j’ai dit que ce n’était pas la peine d’avoir fait 10000 kilomètres pour trouver la même chose que ce que j’avais chez moi.

Les Bretons, il y en a partout sur la terre et beaucoup de gars ici ont vu des tas de pays. Mais on est toujours content quand on rentre au port, quand on arrive chez soi.

Je me souviens au début, j’étais sur des bateaux caseyeurs qui pêchaient jusque dans le sud de l’Irlande et au large de l’Angleterre, on partait pas très longtemps, une douzaine de jours, mais au bout de 12 jours, on était content quand même d’arriver dans le port de Paimpol et de retrouver la terre et les autres, de retrouver sa famille.

Ça fait toujours quelque chose au cœur quand on revient. Mais avant de rentrer chez soi, il y avait toujours une escale au café pour boire un coup et raconter ce qu’il s’était passé. Pour certains, il y avait plusieurs escales et ils arrivaient chez eux, ça tanguait un peu.

C’est les hommes qui partent en mer, les femmes restent à terre. Les Bretonnes, elles sont comme les berniques, accrochées à leur maison. Tu ne leur feras jamais quitter la terre pour aller loin en mer. Ne plus voir la terre, ça leur fait peur.

Toussaint

Ici, à Loguivy, il y a des marins qui naviguent dans le monde entier et qui viennent dans ce café entre deux missions.

Le gars qui était là juste avant, il était au Congo dans le pétrole et il repart en Thaïlande sur un bateau dépollueur et avant, il a travaillé au Niger. Mais ça devient de plus en plus dangereux de naviguer dans le monde.

Au Libéria, là-bas, ça craint trop, il y a des enlèvements, du grand banditisme, et sur la frange équatoriale, c’est plutôt Daesh et les groupes du terrorisme qui nuisent aux mouvements de chacun. La corne de l’Afrique aussi est dangereuse. Sur le sud du continent, ça va ; Kenya, Mozambique, ça va. Mais, le monde devient incertain et ça devient de plus en plus difficile de voyager dans un certain nombre de pays qui sont de moins en moins sûr. Je crois qu’il va falloir s’habituer à penser qu’on peut partir avec une bombe ou un coup de fusil si on veut voyager. Les espaces et le temps de la guerre ne sont plus délimités, tout peut arriver n’importe où.

Lionel, 50 ans, rencontré Chez Gaud à Loguivy.