Je m’appelle Toussaint et mon père s’appelait Toussaint et avant, il avait un oncle qui était mort en mer qui s’appelait Toussaint. La tradition à l’époque était de donner le prénom de celui qui avait péri en mer à un nouveau né dans la famille.
Je suis fils et petit fils et arrière petit fils de pêcheur du côté de mon père à Loguivy de la mer.
Mon père a été embarqué à 9 ans pour aller en mer. C’était sur un petit bateau qui faisait surtout la praire. Quand il revenait de pêche, il m’a raconté qu’il devait aller vendre les praires avec le patron. Il prenait une sorte de brouette en bois et ils partaient à pied, de maison en maison. Il faut imaginer qu’ils allaient comme ça à pied jusqu’à l’Armor Pleubian, de maison en maison pour demander :
– Qui veut des praires ? Qui veut des praires !
Et avant, mon grand-père a toujours navigué sur des bateaux à voile. Pourtant, il a connu les premiers bateaux à moteur mais il n’en voulait pas. Il a préféré navigué jusqu’au bout sur un bateau à voile.
Moi aussi, j’ai été pêcheur. La vie en mer était dure, très dure mais c’était comme ça. On était payé à la part et tout le monde devait y aller pour que la pêche soit la meilleure possible. Tu n’étais payé que si tu sortais ; il n’y avait pas de malade ou de jours fériés, de dimanche ou de repas de famille, c’est la marée et la pêche qui commandaient. Il n’y avait pas de tire au flanc.
Aujourd’hui, je travaille toujours avec la mer aux Phares et Balises.
Depuis 15 ans, je fais partie de la SNSM ; société nationale de sauvetage en mer. On est complètement bénévoles.
On doit être prêt à partir par tous les temps avec le CTT ; Canot Tous Temps. Aujourd’hui, les trois quarts des interventions sont pour des plaisanciers qui ont des problèmes de panne ou qui n’ont plus de carburant et on fait du remorquage.
Ce qui touche le plus, c’est quand tu pars sur un naufrage ; au début tu cherches les survivants et après un moment, tu cherches les corps. C’est important de retrouver le corps pour la famille.
C’est dur de faire le deuil de quelqu’un dont la tombe est vide. Alors tu cherches pendant des heures pour repêcher les morts.
C’est égoïste à dire mais on est toujours plus touchés quand c’est des gens du coin qu’on connaît, on connaît les familles, les femmes, les enfants.
Je ne suis pas nostalgique du passé, non. Je ne suis pas nostalgique du temps de la marine à voile comme certains. Il faut aller à Ploubaz sur la stèle des marins morts en mer au temps de la voile et de la pêche en Islande et de lire les 2000 noms qui y sont gravés. Ici, il n’y a pas une famille qui n’a pas perdu un enfant, un mari ou un père parti à la pêche en Islande.
Je ne suis pas nostalgique de ce temps là.
Toussaint, 50 ans.