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Connaissez-vous l’homme chauve souris ? J’ai chez nous une vieille malle avec à l’intérieur l’homme chauve-souris mais attention, pour de vrai.

Il y a quelques années, on faisait une fête des écoles dans le quartier pour récolter un peu d’argent pour les activités des enfants. Il y avait tout un tas de stands, pêche à la ligne, chamboule tout et bien sûr, la buvette où on pouvait acheter le gâteau au chocolat qu’on avait soi-même fabriqué.

Nous, on avait préparé une attraction de foire.

– Venez voir l’incroyable ! Le monstrueux ! L’horrible ! L’homme chauve souris !

On avait fait toute une mise en scène et on avait caché la malle avec l’homme chauve-souris derrière des grands draps et on criait :

– Venez voir l’homme chauve souris !

Pour voir cette chose rare, c’était contre rétribution, c’était payant. C’était un franc pour voir l’homme chauve-souris. Les gens disaient :

– C’est une blague ! C’est pas vrai !

– Si ! Si ! C’est vrai ! Vous allez voir pour de vrai l’homme chauve souris.

Ils payaient un franc et on les faisait passer derrière le rideau. On leur disait :

– Surtout faites attention ! Faut pas lui faire peur, il est craintif.

Et là, ils ouvraient eux même la malle tout doucement et… Dans la malle, il y avait le portrait de Yul Brunner qui souriait. Yul Brunner c’était un comédien avec le crâne comme une vraie boule de billard.

– Voyez l’homme, chauve, sourit.

Et les gens jouaient le jeu, ils ressortaient et ils disaient aux autres :

– C’est incroyable ! Vous n’avez pas vu l’homme chauve souris ? Allez le voir, c’est incroyable !

Et comme ça, on a pu récolter tout un tas de pièces de un franc pour les enfants avec l’homme chauve souris et on a surtout bien, bien ri.

Pour moi la chose la plus sérieuse au monde, c’est de pouvoir rire tous les jours et je ne m’en prive pas

L’école EDF, ça a été la meilleure année de ma vie scolaire.

Ce qui m’a marqué, c’est la camaraderie qu’il y avait là-bas. J’étais loin de chez moi. C’est la première fois que je partais de chez moi. J’étais complètement expatrié à sept cent cinquante bornes de chez moi dans un endroit que je ne connaissais pas avec des gens que je ne connaissais pas.

Avec des types venus de toute la France, des gens de partout.

Une petite anecdote.

Deux jours après qu’on soit arrivé, on nous avait mis par équipe de huit et on attendait gentiment dans le couloir avant d’aller voir le Directeur. Et y a un espèce de grand machin qu’était de Bousbeck, c’est dans le nord, Dédé Huide, André Huide qu’il s’appelait. Il attendait, gentiment coincé comme un mec du nord et à côté de lui y avait un petit toulousain, André Perret, un autre Dédé. Un moment, il y tient plus le petit toulousain, il lui fait :

– Ho, con ! T’y es d’où ? Con !

L’autre le regarde d’un air pas aimable et lui répond pas.

– Hey, con ! Je te parle con. T’y es d’où con ?

L’autre le regarde de plus en plus méchamment. Nous on était en face, on comprenait pas vraiment.

– Ho ! Con ! Je te cause con quoi ! Moi je suis de Toulouse con! Toi d’où tu es con ?

L’autre il se retourne et il allonge un coup de poing dans la gueule.

On a été obligé de les séparer.

Mais le gars de Bousbeck n’avait pas compris que c’était la façon de parler. C’était vraiment deux cultures différentes.

Ça c’est vraiment un des premiers trucs qui m’a vachement marqué, la découverte d’un autre monde. On n’était pas pareil.

C’est une histoire de Djaha. Il y avait un grand marchand très riche et à coté, il y avait la cour de Djaha qui était pauvre. Chaque jour, le marchand entendait Djaha prier Dieu :

– Dieu, je veux que tu me donnes 1000 dinhars. Je veux pas plus pas moins. Pas un dinhar de plus. Pas un dinhar de moins. Je veux mille dinhars.

Et tous les jours, le marchand entend Djaha dire la même chose :

– Dieu, je veux que tu me donnes 1000 dinhars. Je veux pas plus, pas moins.

Le marchand veut jouer un tour à Djaha. Il prépare un sac avec 999 dinhars. Quand Djaha fait sa prière, il lance le sac par-dessus le mur comme s’il tombait du ciel. Djaha ouvre le sac et commence à compter. Il compte 1, 2, 3, 4, 5… 999 dinhars.

– Merci Dieu pour ces 999 dinhars.

Le marchand pensait que Djaha allait relancer le sac mais il entend Djaha qui dit merci à Dieu. Il vient chez Djaha et il lui dit de rendre l’argent, que c’est lui qui l’a lancé pour s’amuser. Djaha lui répond :

– C’est pas toi qui m’a envoyé l’argent, c’est Dieu qui a entendu ma prière qui m’a envoyé 999 dirhams. C’est pas ton argent.

Le marchand se met à crier mais Djaha refuse de lui rendre l’argent. A la fin, le marchand dit à Djaha de venir avec lui chez le juge. Mais Djaha dit à son voisin :

– Je peux pas venir comme ça avec toi. J’ai pas d’assez beaux habits pour aller devant le juge. il me faudrait de beaux habits bien chauds pour que je vienne avec toi.

Le marchand lui prête sa belle djellaba en laine et lui demande de le suivre chez le juge. Mais Djaha se plaint encore :

– J’ai trop mal aux jambes. Si tu veux que je vienne il faut que tu me prêtes ton âne.

Et le marchand est obligé de prêter son âne à Djaha et ils sont partis chez le juge. Quand ils arrivent, le juge dit à Djaha :

– Djaha, qu’est-ce que tu as fait à ton voisin ? Il se plaint que tu lui as volé son argent.

Djaha s’approche du juge et il lui dit :

– C’est chaque fois pareil. Ce monsieur là, à chaque fois qu’il voit quelque chose chez moi, il dit que c’est à lui. Si tu lui demandes ma djellaba, c’est à qui, il va dire que c’est à lui. Il est riche, il a tout mais il veut tout ce qui est à moi.

– C’est à qui la djellaba ? Demande le juge au marchand.

– C’est à moi la djellaba. C’est moi qui lui ai donné. Crie le marchand.

Djaha dit au juge :

– Tu peux lui demander c’est à qui l’âne qui m’a porté jusqu’ici.

– C’est à qui l’âne ?

– C’est à moi l’âne. c’est à moi. crie encore le marchand.

– Vous voyez Monsieur le juge, dès qu’il voit quelque chose que j’ai, il dit que c’est à lui.

Le juge dit au marchand :

– Toi, rentre chez toi. Rien n’est à toi. Et toi Djaha, rentre chez toi, tout est à toi.

Djaha est rentré chez lui avec l’âne, la djellaba et les 999 dirhams.

Djaha, c’est un pauvre mais il est malin, il est rusé, il s’en sort toujours. Il y a beaucoup d’histoires avec lui chez nous au Maroc. Il est connu dans tout le monde arabe. Il change de nom suivant le pays. Depuis tout petit, on entend les histoires de Djaha là-bas

En 68, j’avais vingt ans et je travaillais à Usinor. Quand 68 est arrivé, l’usine était en grève générale. Tout était bloqué. Ici, dans le Nord, à Usinor, on a fait cinq semaines de grève générale, on a été plus longtemps en grève que partout en France.

Une histoire que je peux raconter parce que je connais très bien le gars à qui elle est arrivée puisque ce gars, c’est moi.

Un jour, pendant la grève, on a participé à une manifestation sur Paris. c’était un prêtre ouvrier qui nous avait convaincu d’y aller. On était toute une colonne de bus à rouler les uns derrière les autres. On est arrivé, c’était une foule impressionnante. Jamais, j’avais vu une telle foule. On était complètement paumé. Pour certains c’était la première fois qu’il descendait à la capitale. Le prêtre ouvrier nous avait dit de faire attention de ne pas se perdre et de bien le suivre. Le prêtre ouvrier, c’était un peu notre berger, nous, on le suivait partout où il allait. On était tranquille, bien en rangs.

A un moment, les CRS ont chargé. On s’est retrouvé dispersé sur une énorme place. Ça chauffait dur ! Ça courait dans tous les sens et nous, on suivait notre prêtre qui criait :

– Suivez-moi les gars ! Suivez-moi, les gars !

Nous, on le suit. On arrive à une bouche de métro. Merde ! Les CRS étaient déjà par là et ils canardaient les manifestants avec des lacrymogènes.

– Non ! Pas par là les gars ! Suivez-moi !

On s’éloigne de la place sans savoir où on allait, on suivait notre berger qui criait :

– Vite ! Les gars, on va aller par là.

On s’engage dans une ruelle. Manque de pot, la ruelle bouchée par une rangée de CRS.

Demi-tour, les gars !

On veut faire demi-tour. Les CRS arrivaient de l’autre côté. C’était la panique à bord, les gars filaient comme des lapins. On se retrouve bloqué, pris au piège. Le prêtre nous dit :

– Suivez-moi, on va rentrer par là.

Par là, il y avait une entrée. On s’engouffre par la porte. On pousse une seconde porte et on entre dans un petit hall. On était une bonne dizaine, serrés, derrière le prêtre. On arrive à un guichet. Il y avait une petite dame qui était là, toute surprise de nous voir débouler. Elle demande au prêtre :

–  Combien vous voulez de billets ?

En fait, on s’était retrouvé avec notre cher prêtre ouvrier dans un cinéma porno. Tout au moins au guichet, car on n’est pas rentré pour voir de film. On en a profité pour discuter un peu avec la caissière. Elle a rigolé et elle nous a laissés rester quelques minutes, le temps que ça se calme dehors. Ce jour là, on a trouvé refuge dans un cinéma porno.

Moi, je peux dire sans mentir, que c’est un prêtre ouvrier qui m’a amené pour la première fois dans un cinéma porno en 68.

 Une année, on a été à Théoul, au centre CCAS. C’était la première année ou ce centre ouvrait pour les actifs, normalement, c’était que pour les inactifs.

On est arrivé, on était les seuls actifs. Une personne charmante d’un certain âge nous indique une table pour le repas. Le lendemain, pour le petit déjeuner, avec ma femme on s’est installé à une autre table.

Là, d’un seul coup, un vieux me dit:

– Non ! Vous asseyez pas ici. Vous avez changé de place. Vous avez mangé là-bas hier soir. Votre place, c’est là-bas. Vous avez rien à faire ici.

Je lui dis:

Calme ! Cool ! Zen !

Là-dessus, on retourne à notre place, on voulait pas foutre la merde.

Le premier soir, on avait eu de la soupe. Le deuxième soir, soupe, même pas potage, soupe. Troisième soir, soupe. Rien d’autre en entrée.

Là, ça va plus. Je suis allé voir le chef de camp, je lui ai dit qu’on était actif et que la soupe en plein été, on en mangeait rarement. En plus, c’était la région et la saison des tomates et des melons, que j’étais pas venu pour manger de la soupe. Le soir même, avec ma femme, on a eu droit à deux belles assiettes de tomates en salade. Tous les autres, ils avaient de la soupe.

Là, ils nous ont regardés avec des yeux plein d’envie.

Alors, à force de mettre mon bazar, on a réussi à avoir des hors-d’œuvre et des desserts au choix et le soir plus de soupe, sauf pour ceux qu’en voulaient vraiment.

Après, j’ai été accepté, pas comme un dieu, mais comme un bienfaiteur de l’humanité parce qu’ils en avaient marre d’avoir de la soupe mais qu’ils osaient rien dire.

Le premier soir, je m’étais fait engueulé, après, au bout d’une semaine, on buvait l’apéro, on jouait à la pétanque. Eux, ils étaient heureux d’être sorti de leur soupe et de leurs desserts qui valaient pas un clou.

Au Portugal, il y a eu la révolution des œillets, moi, à Théoul, j’ai fait la révolution des tomates.

Mon père était ce qu’on appelait autrefois un amuseur. C’est un homme qui avait un talent fou. La semaine, il travaillait à l’usine et le samedi, il partait avec son violon pour animer des bals ou des fêtes. Entre deux chansons, il racontait une histoire. C’était souvent des blagues un peu paillardes mais ça faisait rire tout le monde. Et les gens en avaient bien besoin car la vie était dure.

C’était des petites histoires comme celle d’un garçon un peu simple d’esprit qui voulait se marier. Il va voir le curé et il lui demande de lui trouver une gentille fille. Le curé lui trouve une charmante jeune fille qui se nomme Carabine.
Le mariage a lieu et trois mois plus tard, le jeune marié un peu simplet s’aperçoit que sa femme est enceinte. Il retourne voir le curé.

– Vous ne m’aviez pas dit que la carabine était chargée.

Et ça rigolait. Et mon père reprenait son violon

Une autre, un peu différente, qu’il aimait bien raconter.

Un jour, un roi veut savoir quelle est la part du peuple. Il convoque ses ministres et ses conseillers et il leur demande :

– Quelle est dans mon royaume la part du peuple ?

On lui apporte des livres pleins de colonnes de chiffre, des graphiques avec des courbes pour représenter au monarque tout ce qui est fait pour le peuple.

– Je ne comprends rien à tous vos tableaux et à tous vos chiffres.

Son fou lui dit :

– Moi, sire, je peux vous montrer de façon beaucoup plus simple quelle est la part du peuple dans votre royaume.

Le fou fait rassembler toute la cour ; le roi, tous ses ministres, conseillers, chambellans, chefs de cabinet et il les fait aligner en une longue file. Puis, il fait venir un paysan et un ouvrier qu’il place à l’extrémité de la rangée de nobles et de dignitaires. Ensuite, le fou amène une glace, un eskimau au chocolat pour être plus précis, il le tend au roi et il lui demande de lécher la glace deux fois. Le roi lèche la glace deux fois. Le fou reprend la glace et la tend au premier ministre qui à son tour lèche la glace, le suivant est le ministre de la guerre et ainsi de suite de ministre en chambellan, de conseillers en chef de cabinet, chacun y va de son coup de langue. Quand la glace arrive à la fin à l’ouvrier et au paysan, il ne reste plus rien que le bâtonnet de bois.

Alors le fou se tourne vers le roi :

– Voilà sire, la part du peuple, c’est ce qu’il reste une fois que vous même et tout vos ministres et conseillers se sont servis. Comme il reste rien, le peuple est pas content alors pour ne pas qu’il se révolte on lui donne le bâton.

C’est une histoire qui avait beaucoup de succès quand mon père l’a racontait et malheureusement, je crois que c’est toujours aussi vraie aujourd’hui, même si on n’est plus au temps des rois.

C’est l’histoire d’une femme qui fait des tapis. Ces tapis sont tellement biens et beaux que tout le monde en veut. Cette femme a une fille tellement fainéante qu’elle n’arrive pas à la marier. Alors, elle fait croire que c’est sa fille qui sait faire les tapis. Il y a un homme qui vient et qui dit :

– Moi, je veux une femme qui sait faire des tapis comme ça.

Il demande la main de la fille. Après, il l’a épousé. Quelques temps après, il dit à sa femme :

– Je ne t’ai jamais vu faire les tapis comme ta mère. Je veux que tu me fasses des tapis à partir d’aujourd’hui.

Elle dit d’accord. Dès que son mari est parti au travail, elle part voir sa mère. Et c’est sa mère qui lui fait des tapis à sa place. Quand son mari rentre, il lui demande où est le tapis. Elle lui dit :

– J’ai commencé un tapis mais je n’ai pas encore terminé.

Après, l’homme, il insiste pour voir le tapis. Elle va voir sa mère et elle lui demande comment faire. Sa mère lui explique ce qu’elle doit faire et lui dit d’amener son mari le lendemain. Le lendemain, quand le mari arrive avec sa femme, il voit la mère qui dort mais on voit ses fesses qui sont toutes noires. Il dit à sa femme :

– Couvre ta mère.

Après, il demande à sa femme :

– Mais qu’est-ce qu’elle a ta mère ? Pourquoi son derrière est tout noir ?

Sa femme lui répond ce que lui a dit sa mère :

– Ma mère a le derrière tout noir parce qu’à force d’être assise pour faire les tapis, son derrière est devenu comme ça.

Après, il lui a dit :

– Si c’est comme ça moi, je ne veux plus que tu fasses les tapis. J’ai pas envie que tu ai le derrière tout noir comme ta mère.

Ma mère nous a racontés cette histoire il y a trois jours parce que ma sœur ne voulait pas faire la cuisine. Ma sœur n’est pas comme nous. Elle n’obéit pas. Un jour, mon père lui a demandé à boire. Elle a répondu :

– T’as des pieds, t’as des mains, alors lève toi !

Elle a reçu une gifle. Ma mère, quand c’est comme ça, ne crie pas. Elle ne s’énerve jamais. Elle dit :

– assieds-toi. je vais te raconter une histoire.

Ma mère raconte une histoire comme celle que je viens de raconter, ma soeur se met à rire et ça l’aide à comprendre. A chaque fois, elle raconte une histoire par rapport à des choses de la vie.

Ma mère s’appelle Sfia, elle connaît plein d’histoires sur tout.

Moi, je ne suis pas né en France. Je viens de Tunisie. Pour les Français, la Tunisie, c’est les vacances, mais pour les de Tunisiens, c’est une dictature. Là-bas, je n’avais pas le droit d’exprimer mes idées librement. J’ai fui mon pays pour chercher la liberté. Je suis venu en France. Il mes reste quelques histoires de là-bas dans ma mémoire.

C’est une histoire que j’ai apprise en Tunisie à l’école Arabe.

Ça se passe dans un petit village de Tunisie. Là-bas, il y a un paysan qui vit avec sa famille.

Un jour, il reçoit un de ses vieux copains d’école qui lui s’est installé en ville. Il veut lui faire honneur, il dit à sa femme :

– Tu vas préparer cinq poulets pour notre invité.

Son ami arrive, il s’embrasse et il s’installe pour le repas. Sa femme amène un superbe plat avec les cinq poulets rôtis.

Le paysan était avec sa femme, ses deux fils, ses deux filles et il dit à l’invité de faire le partage.

L’autre dit d’accord et il demande :

– Je partage en nombre pair ou impair.

Son copain voit pas le pourquoi mais il répond :

– En nombre impair.

– Bien ! C’est pas difficile ! Le père, la mère et une poule, ça fait trois. Les deux fils et une poule, ça fait trois. Les deux filles et une poule, ça fait trois. Et moi, l’invité avec deux poules, ça fait trois.

le paysan, il se dit qu’il s’est fait avoir alors il dit :

-Ho ! La ! La ! Tu sais ma langue a fourché. J’ai dit impair mais c’était en nombre pair que je voulais dire.

– D’accord ! C’est pas compliqué ! On va faire le partage en nombre pair.

Le père, ses deux fils et une poule, ça fait quatre.

La mère, ses deux filles et une poule, ça fait quatre.

Et moi, l’invité et trois poules, ça fait quatre.

Et il a bouffé les trois poules et il est reparti.

C’est une histoire qui se trouvait sur mon livre d’exercice arabe sur la manière d’écrire les nombres.

Je me souviens quand mon père m’a emmené la première fois à Marrakech sur la place Djama el-Fna. Pour moi, ça a été un moment magique. J’étais enfant et je voyais tout ce monde, il y avait les odeurs de viandes grillées, d’épices qui se mélangeaient dans l’air et toutes ces couleurs, tout ce monde. Je m’accrochais à mon père. Il n’y avait pas autant de touristes qu’aujourd’hui. Il y avait les jongleurs, les danses, les montreurs de serpent.

Je me souviens bien des conteurs qui venaient sur cette place.

C’était des gens qui ne savaient ni lire, ni écrire mais fallait voir la parole, la langue qu’ils avaient. C’était magique de les écouter.

Il y avait beaucoup d’histoires de Djeha. Djeha on le prend pour un idiot mais c’est un rusé. Je me souviens de celle où Djeha ne peut plus payer ses dettes et on vend sa maison.

C’est Djeha, il est un pauvre, très pauvre. Un jour, il ne peut pas rembourser ses dettes et on vend sa maison. Le nouveau propriétaire arrive et voit Djeha, en larmes, à genou par terre. Djeha lui montre un clou, un vieux clou tout rouillé, tout tordu sur le mur.

– Tu vois ce clou planté dans le mur, c’est le clou de mes ancêtres. Il y a mon père qui y accrochait sa djellaba, le père de mon père y accrochait sa djellaba. Je t’en supplie, laisse moi juste ce clou enfoncé dans ce mur. L’autre dit :

– D’accord.

– Gloire à toi ! Tu es un juste parmi les justes, tu as ta place de réservée déjà au paradis.

Ils vont chez le notaire, et dans l’acte de vente, il est marqué que le clou enfoncé dans le mur reste la propriété de Djeha. Le propriétaire s’installe dans sa maison. Et voilà Djeha qui arrive. Ils se saluent, ils demandent des nouvelles.

– Ça va Djeha?

– Ça va. Je viens voir mon clou.

Et Djeha entre dans la maison et accroche un sac sur le clou.

– Qu’est-ce que tu accroches là ?

– J’accroche ce que je veux sur mon clou.

Et Djeha s’en va.

A peine il est parti, ça sent mauvais dans la maison, ça pue la charogne et l’odeur vient du sac accroché au clou. Il y a plein de mouches qui arrivent et qui bourdonnent autour du sac. On fait chercher Djeha qui revient.

– Mais qu’est-ce que tu as mis dans ce sac qui pue comme ça ?

– C’est juste des entrailles de bouc et trois rats crevés.

– Mais tu es fou ! Retire tout de suite ça de chez moi.

– Je mets ce que je veux dans mon sac qui est accroché à mon clou.

– Mais non !

– Mais si !

– Mais non !

– Bon écoute. Dit Djeha. On va pas se disputer bêtement pour un clou. On va aller voir le cadi et il dira qui a raison et qui a tort.

Ils vont voir le cadi.

Le cadi les écoute et il demande à voir l’acte de vente. A la fin, il donne son jugement :

– Il est bien marqué sur l’acte de vente que ce clou enfoncé dans le mur de ta maison est la propriété de Djeha alors Djeha peut accrocher ce qu’il veut sur son clou. Il fallait réfléchir avant de signer.

Le propriétaire a abandonné la maison et Djeha est revenu chez lui et il a accroché sa djellaba sur Son clou.

C’est pourquoi, au Maroc, quand on achète une maison ou quelque chose, on dit :

– Lis bien l’acte de vente. Souviens-toi du clou de Djeha !

Ah ! Les cons !

Une année, avec ma femme et les gosses, on partait en vacances du Nord de la France jusque dans le Sud Ouest.
On avait pris l’autoroute au petit matin. Ça roulait bien. Sur un arrêt d’autoroute, je m’arrête pour pisser. C’était encore des chiottes à la turque. A la fin, normal, je tire la chasse et là, c’était les grandes eaux de Versailles, le déluge, un vrai geyser ! Je savais plus où me foutre là dedans. Je me suis fait arroser, fallait voir ! J’avais le bas du pantalon et les godasses trempés. Je sors en gueulant :

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !

Ma femme et les gosses qui rigolaient dans la bagnole. Moi j’étais en rogne et je leur ai gueulé dessus qu’c’était pas drôle. Bon tout le monde se tait. Je change de godasses et de chaussettes et on repart.

Deux heures plus tard, je m’arrête à une station service pour faire le plein. J’avais le pare brise plein de moustiques et d’insectes écrasés. J’décide de tout nettoyer. Il y avait un seau avec une raclette. Je nettoie le pare brise avant puis j’attrape le seau pour faire l’arrière.

Les cons, ils avaient rien trouvé de mieux que d’accrocher leur seau avec une chaîne. Le seau se renverse sur mes godasses et me voilà encore trempé.
-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons ! Vraiment faut être con pour attacher un seau comme si on allait leur voler.

Je gueulais comme un putois. Personne rigolait dans la voiture.

On est repartis. J’étais tellement en colère que j’avais décidé de pas faire le plein chez des connards pareils.
On roule, on roule et plus de station. Et il arrive ce qui devait arriver, je me retrouve en panne d’essence sur l’autoroute.

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !

Je gueulais dans la voiture et personne ne mouftait là dedans. J’ai été obligé d’aller à pied pour appeler une dépanneuse.
On est arrivé le soir, j’étais encore en rogne.
Le lendemain, quand j’ai raconté cette histoire à un gars du camp de toiles et que je disais :

-Ah ! Les Cons ! Ah ! Les cons !

Il s’est marré comme une baleine. Et là, je me suis rendu compte et je me suis senti un peu con.

Depuis, je raconte cette anecdote et ça nous fait bien rire. Et quand des fois, je me fous en rogne après un truc ou quelqu’un, ma femme me dit :

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !