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J’ai été à l’école à Kermouster là où est la Cambuse aujourd’hui. On était 57 élèves dans 2 classes. A l’école, on écrivait à l’encre et à la plume. Quand, on faisait mal ses devoirs, on nous attachait un cahier sur le dos et il fallait se promener dans la cour comme ça.

L’école est devenue une épicerie. S’il n’y avait pas ça, on n’aurait rien, on serait ravitaillé par les corbeaux. Mon mari y va tous les soirs pour boire un verre. Sylvie, c’est elle qui tient la Cambuse. Il l’a connue, petite et il dit :

– Tant que je vivrai, j’irais la voir.

Aujourd’hui, il n’y a plus d’enfants à l’école. Les enfants qu’on voit courir l’été ne sont pas les enfants du village mais ceux des touristes qui ont des maisons secondaires. Quand ils s’en vont, tout est fermé.

Ici, chez moi, c’est toujours ouvert toute l’année et entre qui veut.

Ici, à Kermouster, tout le monde se connaît et on s’aide les uns les autres. Quand quelqu’un ne va pas bien, qu’il est malade, on va voir ce qu’il y a à faire ; le linge, la soupe à préparer et on fait ce qu’il faut faire.

Huguette, 75 ans, Kermouster

Dans le temps d’avant, on ne bougeait pas beaucoup. Pour aller à Paimpol, il n’y avait qu’un car par semaine, c’était les cars Henri qui faisaient ça. Alors, les cultivateurs montaient dans le car avec un grand panier plein de mottes de beurre. Ils amenaient le beurre à vendre comme ça. Ils emmenaient aussi dans le car des petits cochons à vendre.

Mon premier voyage, c’est quand j’étais à l’école à Kermouster, on nous a emmenés au Mont Saint Michel.

Mais, sinon, j’ai pas beaucoup voyagé, je suis toujours restée ici.

Le plus loin où j’ai été, c’était à Paris. C’était par un touriste qui venait ici et qui m’achetait des patates, un jour il m’a dit :

– On vient te chercher et on t’emmène avec nous à Paris. On va te faire visiter Paris.

J’ai été à Paris. C’était énorme ! Je n’avais jamais vu autant de maisons. On est resté 2 jours et on a beaucoup couru un peu partout. J’ai été jusqu’au 2ème étage de la Tour Eiffel. Ce qui m’a plu, c’est de manger sur un bateau mouche ; il y avait la musique et sur le bateau, ils expliquaient tous les monuments qu’on voyait. C’était vraiment très bien. Mais sinon, il y a trop de maisons et d’immeubles. Je me demande comment ils font pour vivre serrés là dedans comme dans des boîtes de sardines. Pour moi, c’est des clapiers à lapin. Ça se vit pas ! Mais pour beaucoup qui veulent trouver du travail, c’est comme ça. Pour mes petits enfants, c’est comme ça.

A Paris, je n’ai même pas pris le métro, je ne voulais pas aller sous terre comme ça. Je suis une vieille Bretonne, j’ai mes habitudes et tout ça ne me plaît pas. Il faut être juste. Quand on a eu une vie, une autre vie, c’est pas pareil. Paris, c’est pas pour moi.

C’était, il n’y pas très longtemps il y a 2 ans et, avant, je n’avais jamais été nulle part, j’étais toujours restée dans mes champs de pommes de terre.

Huguette, 75 ans, Kermouster

Avant, on faisait attention à tout, on ne jetait rien, jamais. Le pain rassis, on le faisait tremper dans du lait et ça faisait comme une sorte de bouillie. Aujourd’hui, quand je vois mes petits enfants qui gaspillent, je rouspète. Mes enfants me disent :

– Maman, tais-toi, on n’est plus au temps de la guerre !

Mais il y a du gaspillage et ce n’est pas bien.

Le pain, pendant la guerre, il fallait des tickets de rationnement pour en avoir. Heureusement qu’il y avait la mer pour nous donner à manger. On allait à la mer pour chercher les coquillages et les crabes. Il n’y avait que ça pour vivre parfois. On ramassait des berniques et les bigorneaux gris et les noirs, on les ramassait pour les vendre et avoir un peu d’argent. On faisait ça à 6 ans déjà.

Pendant la guerre, ceux qui avaient du blé pouvaient en amener au moulin pour avoir du pain blanc mais les pauvres ouvriers n’avaient que du pain noir. Les enfants de cultivateurs avaient du pain blanc mais les autres étaient au pain noir. Alors, à l’école, dans la cour, on se rebiffait :

– Pourquoi toi t’as du pain blanc et pas nous ?

Il y avait une différence et ça ne nous plaisait pas. Pourquoi, un mangerait du pain blanc et l’autre du pain noir ? Un avait du beurre sur son pain blanc et l’autre du saindoux, c’est pas juste !

Quand les avions passaient, on allait tous se mettre dans une tranchée qui servait d’abri. Une fois, tout le monde était parti dans la tranchée et ma mère avec d’autres femmes avaient été dans une ferme où ils avaient cuit du pain blanc et elles avaient pris du bon pain blanc qui était sur une planche. Elles l’avaient volé. Et cette fois là, on a eu du pain blanc. On est parti le manger dans le grenier de la maison comme ça personne n’a rien vu. La fermière n’a rien dit.

Beaucoup de ceux qui ont vécu ça sont morts mais ce souvenir arrive souvent sur le tapis quand on en parle. Les fermiers préféraient collaborer avec les Allemands qui avaient de l’argent qu’avec les petits qui n’avaient rien. Ce n’est pas juste, on est tous des humains. Il faut être juste. C’est ça la vérité.

J’ai connu la guerre. J’ai vu les Allemands, ils étaient pleins à être installés à l’Île à Bois. J’ai vu construire le pont de l’île à Bois. Un jour, j’allais chercher le lait à la ferme et j’ai croisé des Allemands et il y en a un qui m’a donné un bonbon. J’étais toute petite. Puis, une autre fois, j’ai vu les Allemands monter la côte pour aller à l’Armor pour tuer des jeunes gens de 15, 16 ans. Ils étaient comme fous et ils ont massacré des jeunes. Il y a eu beaucoup de tués. Ça a été terrible, terrible ! Je me rappelle bien de tout ça et je le garderai toute ma vie dans ma mémoire.

Huguette, 75 ans, Kermouster

Ça fait 27 ans que nous sommes ici à Ploubaz.

Ici, c’est la maison des grands-parents de ma femme. C’est des gens qui venaient de la région de Laon au Nord de Paris. Ils l’avaient achetée comme maison de vacances puis ils y ont passé leur retraite. Puis, dans les années 80, la maison a été transmise à ma femme et on est venu s’y installer.

Nous, on était autour de la quarantaine et c’était un virage dans notre vie, au niveau géographique mais pas au niveau de l’esprit.

Avant, pendant 15 ans on a vécu en communauté du côté de Nantes avec une vingtaine de personnes. J’avais 20 ans, ma femme Catherine 21, on est devenu prof tous les deux, mais au bout de 2, 3 ans on s’est dit : Non, on ne peut pas participer à un truc comme ça, l’éducation nationale telle qu’elle était.

Pour nous, le maître mot, à la fac de Nantes où on était en 68, c’était que ce qui tue les gens, c’est la société de consommation. C’est comme ça qu’on a décidé de vivre en communauté. J’y ai appris beaucoup de choses et surtout la tolérance. On n’avait pas de salaire, on avait des caisses communes qui servaient pour tout le monde et qui permettaient de vivre et d’acheter ce dont on avait besoin. On est parti de l’individu pour aller vers la communauté pour construire notre projet. Chacun avait sa cellule de vie individuelle ; on avait construit des maisons nous même pour chacun et on avait une part de budget pour nos besoins, pour nos repas du soir, pour nos enfants.

On faisait pousser des légumes, on avait un jardin, on élevait des bêtes. On était en partie autonome a niveau de l’alimentation. Je sais tuer un cochon. On faisait notre charcuterie.

Au bout de 15 ans, on est sorti de cette expérience de vie en communauté parce que ça ne correspondait plus à ce que l’on voulait vivre.

Même si c’est une utopie, un rêve, en 68, je me demandais :

– Pourquoi, le prof de fac est payé plus cher que la balayeuse ?

Et je me le demande toujours. Le jour où tout le monde gagnera la même chose, gagnera le même argent pour ce qu’il ait à même de faire, pour ce qu’il sait faire, il n’y aura plus de problèmes, il n’y aura plus de pouvoir des uns sur les autres par l’argent et chacun pourra faire ce qu’il aime.

On a fait le choix de changer de lieu tout en gardant notre ligne de vie, pour, à 40 ans, continuer ce qu’on imaginait, nous, travailler, faire des choses qu’on aime et qui dépendent de nous et acheter les patates qui nous permettent de nous nourrir.

On a quitté la région Nantaise et la communauté et on est venu s’installer ici.

Aujourd’hui, on continue à vivre selon notre choix de se mettre à l’écart de la société de consommation et la pub. En arrivant ici, ma femme avec d’autres a monté la Bio-coop de Paimpol. Elle a fait son chemin dans l’idée de consommer autrement avec la vente de produits bio et en offrant d’autres choix que la vente en grande distribution. Moi, je suis devenu céramiste.

Notre démarche a toujours été d’être en cohérence avec ce qu’on pensait.

On vit peut être de façon un peu marginale mais on vit selon notre choix en faisant ce qu’on aime. On n’est pas dans le rêve mais on est dans le concret, dans le faire.

Il y a une phrase de Victor Hugo qui me va bien et qui dit :

Il vaut mieux être dans le faire que dans le dire.

Jean Yves, 68 ans.

L’affaire Seznec avait eu lieu bien avant que mon grand-père soit garde forestier. Mais dans les années 50, de temps en temps, il y avait encore les gendarmes qui venaient le voir pour lui demander s’il avait trouvé des ossements. Mon grand-père disait :

– J’ai bien trouvé des ossements mais ce n’est pas des ossements humains.

Cette affaire a secoué toute la Bretagne et la secoue encore. On aimerait tellement que Seznec soit innocent. On aimerait tellement que cet homme qui a fait près de 25 ans de bagne et qui est un gars d’ici, un Breton du Finistère, un menuisier, un gars qui est proche du peuple, on aimerait qu’il soit innocent.

Le bagne a cette époque, c’était terrible, et il a souffert terriblement.

Les Bretons ont pris partie pour lui. C’était une justice faite par les gens de Paris où il y a eu de grandes incohérences.

C’est pour ça que la peine de mort, il ne faut pas m’en parler parce qu’il y aura toujours des innocents qu’on pourrait tuer.

Philippe, 55 ans.

A Plourivo, il y a eu l’affaire Seznec. Ça c’est passé après la 1ère guerre mondiale à la maison forestière de Penhoat qui est devenue la Maison de l’Estuaire. Mais, il y a eu plein de journalistes qui sont venus. C’est ma grand-mère qui avec son taxi transportait des gens et aussi louait des chambres. Elle a bien connu tout ça.

C’est elle qui m’en a parlé bien plus tard. Ça a marqué la mémoire de Plourivo et il en reste encore des traces. Les anciens en parlent toujours. On n’a jamais retrouvé le corps ! Et encore aujourd’hui, le petit fils de Seznec essaye de réhabiliter la mémoire de son grand-père.

Aujourd’hui encore, le mystère reste entier.

Cathy, 60 ans

Ma mère a vécu une vie dure, dure, dure. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Elle n’avait pas été à l’école. Après, elle a appris un peu avec nous quand on a été à l’école. Par contre, compter l’argent, elle savait faire. L’argent qu’elle gagnait dans les fermes, elle le mettait dans une petite boîte en fer. Mon père travaillait aussi comme journalier dans les fermes. Ma mère m’a raconté :

– A 9 ans, on m’a mis bonne.

A 9 ans, elle travaillait déjà comme bonne dans une ferme !

Ma mère allait au lavoir. Il n’y avait pas de machine à laver et il fallait tout laver à la main. Pour les bleus de travail qui étaient très sale, elle mettait de la cendre de bois dans un torchon et elle mettait ça au fond de la lessiveuse pour les nettoyer. Il fallait faire bouillir le linge et remuer sans arrêt. Il n’y avait pas de savon autant comme aujourd’hui, c’était au compte goutte. Elle lavait le linge pour les autres aussi et ça lui faisait un peu d’argent pour sa sécurité.

Huguette, 75 ans, Kermouster

J’avais une arrière grand-mère qu’on appelait la grand-mère Bourdeau. Elle avait au moins 90 ans et elle habitait seule dans une toute petite maison à Plourivo dans la forêt. Elle n’avait qu’une seule pièce avec un lit clos et elle n’avait pas l’eau, elle n’avait pas l’électricité. Elle vivait à l’ancienne. Juste à côté, il y avait la maison de son fils et lui aussi vivait à l’ancienne

On allait les voir de temps en temps. On allait à pied chez elle dans la forêt. J’avais peut être 10 ans, c’était il y a 50 ans et je me rappelle quand on rentrait chez elle, il y avait toujours le feu dans la cheminée et elle était habillée à l’ancienne, toute en noire. Elle parlait pas mal en Breton avec quelques mots de français au milieu.

Chez elle, il y avait une odeur incroyable, ça sentait le tabac à priser et les odeurs de feu et de cuisine. Quand on allait chez elle, elle nous faisait du lapin aux pruneaux qui était excellent. Elle le faisait mijoter très longtemps sur le feu de sa cheminée. Quand on mangeait ça, c’était trop bon !

Mais ce dont je me souviens le plus, ce sont les odeurs de sa maison, les maisons ont des odeurs, cette odeur de feu, de tabac, et son odeur à elle, une odeur de vieux mais de bon vieux.

Cathy, 60 ans

Tous les jours, je fais ma balade au Lédano. C’est ma bouffée d’oxygène. Qu’il pleuve, qu’il ventre, qu’il neige, chaque jour, je sors avec le chien.

J’observe les plantes, les oiseaux, tout.

Ce matin, j’ai ramassé de l’oseille sauvage pour faire mon poisson demain. Je ramasse de la salicorne aussi et des fleurs de sureau pour faire de la confiture.

Puis, il y a les oiseaux. J’adore les oiseaux. Il y a toute sorte d’oiseaux que je vois tous les jours. Au Lédano, il y a beaucoup de chardonnerets, il y aussi de vraies tourterelles sauvages au plumage moucheté et assez foncé.

Là, où je vivais avant, j’étais aussi à la campagne près d’un cours d’eau et j’observais le martin pêcheur qui se posait sur une branche ou le héron qui pêchait. Je vais vous raconter une histoire que peu de personnes ont observée. Près de mon garage, il y avait une vigne, un matin, en partant travailler, je vois un petit oiseau qui sort de la vigne. C’était un pinson qui y avait fait son nid et qui avait pondu ses oeufs. Quelques jours après, je viens pour voir et dans le nid, il y avait un seul oiseau, très gros. Ce n’était pas un pinson. C’était un petit coucou, il avait balancé hors du nid tous les petits pinsons qui étaient nés et il prenait toute la place et en plus il se faisait nourrir par les parents pinsons. Vous savez que le coucou ne fait pas de nid et qu’il pond dans les nids des autres oiseaux. Je venais le voir tous les jours. Il a grandi et il s’est couvert d’un plumage gris moucheté et je lui parlais et il me répondait à sa façon.

Tous les ans, j’attends d’entendre le chant du coucou, c’est signe de printemps. Il y en a un que j’entends et qui chante dans la forêt de Penhoat en face et aussi, un autre sur une petite île à Lanmodez, ça s’appelle l’île aux lapins. Quand j’entends le coucou, je repense à cette histoire du coucou dans le nid du pinson.

Aujourd’hui, je continue à jeter mes miettes de pain aux oiseaux ; il y a un merle qui vient, des mésanges et j’ai un rouge-gorge aussi qui est là tous les jours. On dit qu’il y a un rouge-gorge par jardin.

Puis, il y a les bernaches qui arrivent tous les ans vers la mi septembre. Quand les bernaches arrivent, je les appelle mes copines. Il y en a beaucoup, j’en ai compté des fois jusqu’à 300 ou 400. Elles restent tout l’hiver là et elles se nourrissent dans les vasières. Quand je viens de bonne heure le matin, je les vois arriver par vol entier. Elles sont posées sur l’eau par groupes de 50 à peu près. Je nage et elles sont à 20 mètres de moi. Je leur parle, je leur dis qu’elles sont belles. Elles restent jusqu’à la mi-mars environ puis elles repartent vers le grand nord pour se reproduire.

Il y a un phoque aussi qui vient au Lédano, je lui parle aussi, je l’appelle Jojo. Je lui dis :

  • Bonjour Jojo, tu vas bien ?

C’est marrant parce qu’il me regarde comme s’il me comprenait.

C’est ma vie ici, à observer les oiseaux, les animaux, la nature. Les animaux ont beaucoup à nous apprendre. Ils sont fidèles.

Cette balade au Lédano, c’est un peu mon bonheur de tous les jours. J’ai la belle vie maintenant et j’en profite. Je suis installée là et je ne bouge plus.

Danielle

Sans mémoire, mon cerveau est un désert.

Benjamin, 9 ans.