Avant, on faisait attention à tout, on ne jetait rien, jamais. Le pain rassis, on le faisait tremper dans du lait et ça faisait comme une sorte de bouillie. Aujourd’hui, quand je vois mes petits enfants qui gaspillent, je rouspète. Mes enfants me disent :

– Maman, tais-toi, on n’est plus au temps de la guerre !

Mais il y a du gaspillage et ce n’est pas bien.

Le pain, pendant la guerre, il fallait des tickets de rationnement pour en avoir. Heureusement qu’il y avait la mer pour nous donner à manger. On allait à la mer pour chercher les coquillages et les crabes. Il n’y avait que ça pour vivre parfois. On ramassait des berniques et les bigorneaux gris et les noirs, on les ramassait pour les vendre et avoir un peu d’argent. On faisait ça à 6 ans déjà.

Pendant la guerre, ceux qui avaient du blé pouvaient en amener au moulin pour avoir du pain blanc mais les pauvres ouvriers n’avaient que du pain noir. Les enfants de cultivateurs avaient du pain blanc mais les autres étaient au pain noir. Alors, à l’école, dans la cour, on se rebiffait :

– Pourquoi toi t’as du pain blanc et pas nous ?

Il y avait une différence et ça ne nous plaisait pas. Pourquoi, un mangerait du pain blanc et l’autre du pain noir ? Un avait du beurre sur son pain blanc et l’autre du saindoux, c’est pas juste !

Quand les avions passaient, on allait tous se mettre dans une tranchée qui servait d’abri. Une fois, tout le monde était parti dans la tranchée et ma mère avec d’autres femmes avaient été dans une ferme où ils avaient cuit du pain blanc et elles avaient pris du bon pain blanc qui était sur une planche. Elles l’avaient volé. Et cette fois là, on a eu du pain blanc. On est parti le manger dans le grenier de la maison comme ça personne n’a rien vu. La fermière n’a rien dit.

Beaucoup de ceux qui ont vécu ça sont morts mais ce souvenir arrive souvent sur le tapis quand on en parle. Les fermiers préféraient collaborer avec les Allemands qui avaient de l’argent qu’avec les petits qui n’avaient rien. Ce n’est pas juste, on est tous des humains. Il faut être juste. C’est ça la vérité.

J’ai connu la guerre. J’ai vu les Allemands, ils étaient pleins à être installés à l’Île à Bois. J’ai vu construire le pont de l’île à Bois. Un jour, j’allais chercher le lait à la ferme et j’ai croisé des Allemands et il y en a un qui m’a donné un bonbon. J’étais toute petite. Puis, une autre fois, j’ai vu les Allemands monter la côte pour aller à l’Armor pour tuer des jeunes gens de 15, 16 ans. Ils étaient comme fous et ils ont massacré des jeunes. Il y a eu beaucoup de tués. Ça a été terrible, terrible ! Je me rappelle bien de tout ça et je le garderai toute ma vie dans ma mémoire.

Huguette, 75 ans, Kermouster