Dès l’âge où j’ai pu tourner une manivelle, depuis toute petite, j’ai travaillé à la ferme. A trois ans, je barattais déjà le lait. On n’avait pas de jouet, on n’avait rien.

J’allais à l’école chez les religieuses et après l’école, on travaillait à la ferme.

J’ai appris à lire chez les sœurs. J’en ai bavé chez les religieuses. Elles étaient toujours à nous soumettre, à nous dire qu’on n’était bonne à rien, qu’on n’arriverait à rien, qu’on serait bonne qu’à garder les vaches. C’était toujours à rabaisser les gens. Les filles de la campagne devaient aller jusqu’au certificat d’études et après, c’était le travail à la ferme.

Mais les livres étaient pour moi comme une liberté. Ils me permettaient de voir et de croire d’autres choses, ils me permettaient de penser autrement et de rêver. J’étais une grande rêveuse.

Ma mère lisait beaucoup aussi. Je la voyais lire le soir quand il n’y avait plus rien à faire.

Je me souviens d’un livre pendant la guerre qu’une sœur de ma mère lui avait apporté. C’était l’histoire du comte de Monte Cristo. Il y avait trois volumes. Ma mère contre les livres avait donné du beurre, des œufs, des choses à manger. Je me rappelle, c’était des beaux livres avec de belles couvertures et j’avais envie de les lire. Mais ma mère avait dit :

– Non ! Non ! Non ! c’est pas pour toi.

J’avais demandé :

– Pourquoi ? tu les as bien lus toi.

Elle m’avait répondu :

– Non, ce sont des livres de vengeance. C’est pas bon de lire des livres de vengeance pour une enfant.

Elle les avait cachés. Mais du moment que c’était interdit, c’était encore plus tentant. J’avais dix ans et j’ai cherché partout. J’ai trouvé les livres et je les ai lus en cachette au grenier. C’était la grande aventure. Ça me faisait rêver. J’aimais rêver. C’était autre chose que les livres que je lisais chez les religieuses qui parlaient de la vie des saints ou de petites histoires enfantines. Là, c’était un livre interdit aux enfants. Je partais en rêve dans les pages. Je l’ai lu et relu et plus tard, j’ai vu les films.

Plus tard, beaucoup plus tard, j’ai lu les autres livres d’Alexandre Dumas à la bibliothèque. Je rêvais. J’imaginais des choses impossibles. Ma vie a été un rêve un peu grâce aux livres.

Je crois que c’est le rêve qui vous fait lire.

                                                                                                                                                  Anne