Avant 36, pour moi les vacances, c’était quand on partait chez ma tante qui avait une bicoque à Villeparisis. En rigolant, on disait que les plus riches partaient à Brunoy. On dépassait jamais la région Parisienne.

36, ça a été une révolution extraordinaire ! Les patrons disaient qu’ils allaient faire faillite et ils n’ont jamais fait faillite. Aujourd’hui ils chantent sur le même air contre la semaine de trente cinq heures ou la retraite, ça n’a pas changé.

J’ai fait ma première colonie de vacances en 1936.

On n’était que des enfants d’ouvriers, des gosses du quinzième et c’était la première fois qu’on partait comme ça.

On nous a dit qu’on allait voir la mer.

Voir la mer ! Rien que ça c’était extraordinaire.

La mer, moi je l’imaginais même pas. Quand je demandais à mes parents, eux, ils l’avaient vu en Pologne avant de fuir à la fin des années vingt parce qu’ils étaient juifs. Maman me racontait la mer.

Elle me racontait les vagues, elle me disait que c’était comme quand les péniches passent sur la Seine et que les vagues viennent cogner contre les quais mais en beaucoup plus grand, en beaucoup plus beau. Et moi j’avais onze ans et j’allais voir la mer.

On est parti à des centaines de gosses de Paris et de la banlieue en train à Mimizan. On a débarqué là-bas. On était tous en rang sur le quai de la gare. Je me rappelle pour traverser Mimizan on s’est mis à chanter l’Internationale en pleine ville.

En ce temps là, il n’y avait que les bourgeois qui partaient en vacances et ils nous regardaient passer en se serrant avec des regards noirs.

On chantait la Jeune garde, on chantait la cucaracha qui était aussi une chanson avant-gardiste des Mexicains. On chantait sans arrêt.

Nous on était gosses mais on savait déjà pas mal de choses. Puis faut pas oublier que beaucoup des enfants de la classe ouvrière commençaient à travailler dur dès treize ou quatorze ans.

Cette année là, les pauvres sont partis en vacances.

Je me souviens on s’est retrouvé à camper près de la forêt.

Puis on nous a amené voir la mer. On a traversé la forêt et là…

Et là, j’ai vu la mer !

Ça reste pour moi un souvenir extraordinaire.

En 36, j’ai vu la mer pour la première fois.