Dimanche, c’est la journée de la déportation et je chante le chant des Marais.

Qui sait mieux le chanter qu’un ancien déporté ? C’est un chant qui a été crée par des déportés allemands du camp de Boguermor, à côté de Hambourg. Ils défrichaient des marais avant la guerre en trente sept ou trente huit, alors qu’il n’y avait aucun espoir pour eux. Ils ont crée ce chant qui est devenu le chant de la déportation.

Après la guerre, je le chantais dans des soirées, quand j’étais directeur CCAS à Val d’Isère. On avait monté une chorale et on chantait le chant des Marais quand on donnait des soirées cabaret:

Loin vers l’infini s’étendent les grands prés marécageux
Pas un seul oiseau ne chante dans les arbres secs et creux
Ô terre de détresse où nous devons sans cesse piocher… piocher…

C’est un chant d’espoir ça ! Et on chantait ça en soirée cabaret pour les gens, pour pas oublier. On chantait du Ferrat, Nuit et brouillard, l’Affiche rouge, L’Internationale. J’avais douze, treize ans, c’était en trente cinq, trente six. J’allais aux manifestations avec mon père contre la guerre en Espagne ou pour le front populaire.

Aux moments de la guerre d’Espagne, en 36, c’est là que tout a commencé, quand on a laissé les fascistes italiens et allemands massacrer les Brigades Internationales. C’est là que ça a tout déclenché.

Après, la guerre est arrivée et je suis rentré dans la résistance. En 41, à vingt ans, je me suis fait arrêter. J’étais Nuit et brouillard. J’étais classé comme terroriste. J’étais résistant, j’étais FTP, franc tireur partisan. On n’était pas considéré comme résistants mais comme terroristes. On était jugé par un tribunal de l’armée allemande et ils nous emmenaient pour nous fusiller.

Les communistes, c’était encore pire, ils les guillotinaient. J’ai huit camarades qui ont été fusillé au mont Valérien. De temps en temps, je vais les voir au cimetière d’Ivry. Moi, j’ai eu un coup de pot, moi, ils m’ont pas fusillé, ils m’ont déporté en Allemagne.

C’est là-bas, en camp de concentration que j’ai chanté la plus belle Internationale. Je me souviens, c’était pour la nuit du trente et un décembre au premier janvier. Dans le bloc, à minuit, on s’est tous mis à chanter l’Internationale. Dans le bloc d’à coté, les Russes se sont mis à la chanter en Russe. Nous, on chantait en Français. Ca a été la plus belle Internationale que j’ai jamais chantée.

Aujourd’hui, plus personne chante l’Internationale, ça veut plus rien dire. Moi, de temps en temps, je me la fredonne tout doucement, pour moi.

Marcel Paul m’a dit un jour, que nous, les anciens déportés, on était condamné à témoigner jusqu’à notre dernier souffle de vie. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je vais dans les collèges et dans les lycées.

Moi, jusqu’à mon dernier souffle de vie, je raconterais ce que j’ai vécu en camp de concentration

Je sais pas si les gens peuvent se rendre compte par rapport à nous, qui avons vécu ça. On aimait la vie. On était jeune.

Moi, chaque semaine je vais dans des lycées, dans des collèges pour raconter tout ça, c’est important. Les enfants, ils méritent qu’on s’occupe d’eux.

Quand je vois des collégiens, je leur dis :

-Vous me voyez, je suis vieux. Mais ce que j’ai vécu dans les camps, j’étais jeune, j’avais vingt et un ans. Regardez-pas un pépé de quatre vingt balais. Regardez-moi jeune.

Moi, jusqu’à mon dernier souffle de vie je raconterai ce qu’il s’est passé.