Avant, on faisait la pêche au filet de barrage. On choisissait un passage entre deux grands rochers et on y mettait des filets de barrage. C’est tout un système, tout un art qui est en train de se perdre. On choisissait les bonnes marées en fonction de leur hauteur. A marée basse, on déroulait le filet bien comme il faut et dans le bas du filet, sur 150 mètres, 200 mètres, 300 mètres, ça dépend de la largeur de la passe entre les rochers. On mettait des cailloux tout le long pour bloquer le bas. Après, pour que le filet monte sur l’autre extrémité, il y a des flotteurs en liège. Pour ne pas qu’il se renverse ou qu’il parte sur son dos, on met des boutes en haut du filet pour le maintenir tendu et légèrement incliné pour qu’il pêche bien.
Mon père et ma mère faisaient ça, mon grand-père aussi et c’est eux qui m’ont appris à le faire. A 12, 13 ans, je donnais un coup de main à mes parents à mettre des cailloux tout le long dans le bas du filet. On avait des chariots en bois avec des roues de mobylette et on poussait ça jusqu’au bout du sillon de Talbert pour placer nos filets. On avait 3 à 4 chariots quelque fois avec nous. On amenait nos filets et mon père savait de quel nombre de pas il fallait pour tel ou tel coup de filet ; là, on mettait un filet de 150 mètres, là un filet de 220 mètres, là, un de 280 mètres
J’ai vu de mes propres yeux en 1965, un monsieur qui avait pêché 3 tonnes de poissons sur un filet et quelques jours après, 7 tonnes de poissons. Tous les journaux du coin et même les journaux de Paris sont venus pour voir ça. Il avait embauché les gars du coin pour ramener le poisson. Comment il avait fait pour prévenir de venir avec des charrettes pour transporter le poisson ? Quand il partait voir ses filets la nuit, sur le bout du sillon, il allumait un feu et plus le feu était grand, plus il y avait de poissons. C’était le signal qu’il fallait venir. Et quand un paysan a vu que c’était un grand feu, il a pris ses deux charrettes avec des chevaux et il a fait 18 voyages pour ramener les 7 tonnes de poissons au mareyeur. C’était en mars 1965. Notre instituteur, monsieur Gelbond nous a emmenés avec lui et on a été tous voir ce fameux coup de filet.
Peu de temps après, mon père a appris qu’il y avait des bars qui traînaient dans le coin. Mon père avec un filet de barrage a fait 800 kilos de bars ! Grâce à l’argent de la vente de poissons, mon père a réussi à acheter un tracteur, un Ford 2000.
Moi, il y a encore 5 ans, je l’ai encore fait avec ma mère.
Aujourd’hui, c’est interdit de le faire mais il y a encore quelques pêcheurs qui ont des tracteurs et qui le font.
Paul, 68 ans.