Ici, il y a des histoires d’amour magnifiques. Il y a un couple de vieux, très âgés. Je les ai toujours vus à se promener à deux, cote à cote. Pour moi, c’était bizarre de les voir comme ça, alors que les autres couples d’Algériens, c’était la femme devant, à porter les sacs avec tous les enfants autour, et les hommes, derrière, les mains dans les poches, à discuter entre eux. Mais eux, ce petit couple d’amoureux, c’était autre chose, on voyait qu’il s’entendait bien, ils avaient toujours un petit sourire sur les lèvres. Moi, j’ai grandi en voyant ce couple qui passait aux pieds des blocs.
Puis le hasard a fait que je suis devenu amie avec Shéhérazade, la plus jeune de leurs filles. J’ai appris à connaître ses parents. Un jour où j’étais chez eux, la mère de mon amie m’a racontée son histoire.
Elle a raconté qu’avant, elle habitait un petit village en Algérie. Dans le village, leurs deux familles se détestaient à mort. Mais à quatorze quinze ans, lui et elle se sont vus, ils se sont trouvés et sont tombés amoureux. Lorsque l’amour frappe à la porte des cœurs, personne ne peut l’empêcher d’entrer comme disait ma grand-mère. Lui et elle se voyaient en cachette, ils se donnaient des rendez-vous secrets. A chaque fois, ils avaient peur de se faire prendre mais leur amour était trop fort. La haine de leur famille était trop violente et c’était impossible pour eux d’avouer leur sentiment. Leur amour était impossible chez eux.
Un jour, lui a décidé de partir. Il lui a dit :
– Je vais partir en France, je vais travailler là-bas et je reviendrai te chercher.
Il est venu en France. Il a travaillé en usine. Il vivait dans les baraquements. Il a économisé, économisé en pensant à elle. Et un jour, il est retourné en Algérie pour la chercher. Mais leurs familles se haïssaient toujours autant, impossible de parler de mariage.
Alors, une nuit, il est venu chez elle. Elle a pris quelques affaires dans un sac poubelle. Elle est passée par la fenêtre avec son sac poubelle. Il l’a attrapée et elle s’est enfuie avec lui dans la nuit. Il l’a enlevée et elle l’a suivi. Ils ont pris le bateau et il l’a ramenée en France où ils ont fait leur vie.
Ça m’a fait bizarre d’entendre une histoire pareille sur des anciens en Algérie. C’est la seule véritable histoire d’amour que je connaisse sur des anciens. Les autres, c’était souvent des mariages arrangés entre famille. On présentait la femme à l’homme et ils s’épousaient. Mais là, c’était autre chose, c’était Roméo et Juliette en bien.
Maintenant, quand je les croise avec leur petit sourire, je les regarde avec d’autres yeux. Je regarde le père, c’est un très vieil homme et je l’imagine, jeune, en train d’enlever sa femme. Et je l’imagine, elle, à enjamber la fenêtre en pleine nuit avec son sac poubelle. Quand je vois cette grand-mère, je lui dis comme ça en rigolant :
– Tout de même, vous n’avez pas honte, passer par la fenêtre !
Et elle rigole à chaque fois comme si elle avait vingt ans.