Pour moi, le monde, l’humanité est comme une grande prairie où il y a de tout. Il y a des fleurs toutes différentes ; des grandes, des petites, de toutes les tailles, de toutes les couleurs. Il y en a qui se fanent, il y en a qui meurent, il y en a qui sortent de terre, d’autres qui poussent. Il y en a qui sont tordus, d’autres malades. Chaque fleur, chaque brin d’herbe est différent de l’autre mais fait partie d’un ensemble. C’est beau, une prairie ! C’est plein de couleurs, c’est plein de vie. Un pissenlit, c’est beau ! Quand tu souffles sur les graines de pissenlit que tu les vois s’envoler partout vers l’immensité, c’est beau de voir cette vie qui s’envole. C’est quelque chose de vivant, il y en a partout, sur tous les continents, en montagne, en plaine, c’est une multitude. Je vois les gens comme les fleurs, comme les brins d’herbe d’une immense prairie, tous différents, mais rien sans les autres. La plus belle des fleurs ne veut rien dire sans les autres.
Cette image, j’y ai pensé, il y a longtemps. J’étais toute jeune quand j’ai commencé à travailler en usine. Je suis rentrée en hiver, le 2 février. Par la fenêtre, je voyais une bande de pelouse. Pour moi, c’était ma petite prairie. J’ai vu, au printemps, l’herbe de cette pelouse pousser. J’ai vu naître des fleurs et parmi les pâquerettes, les fleurs de trèfle, de pissenlit, j’ai vu apparaître une fleur bleue. C’est une fleur des dunes, une de ces fleurs de sable, une fleur rare qui est protégée. Elle avait des pétales d’un bleu très joli. Je l’aimais beaucoup. J’aimais la voir grandir, là, sous ma fenêtre. Elle était très belle, elle avait poussé toute seule au milieu de l’herbe et des pissenlits. Elle avait réussi malgré la construction de l’usine à repousser là.
Quand les gars venaient tondre ma petite prairie, ils tondaient ma fleur. La fois suivante quand les jardiniers sont arrivés, je leur ai dis :
– Ecoutez non ! S’il vous plait, il ne faut pas m’enlever ma fleur bleue.
Alors, ils ont tondu tout autour. J’étais contente. J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu ma fleur bleue. Elle avait l’air idiote, toute seule, là, toute fière, avec rien autour. Elle était belle mais elle ne voulait plus rien dire, elle était seule. La fois d’après, quand les jardiniers sont venus, je leur ai dis :
– Vous pouvez couper la fleur s’il vous plaît. Elle ne veut plus rien dire toute seule comme ça. Elle repoussera avec les autres.
Alors, ils ont coupé la fleur bleue. Après, elle a repoussé au milieu des autres.
C’est fort une fleur ! C’est une force de vie incroyable. Dans le macadam, devant mon garage, il y a une pensée qui a poussé. Je faisais très attention de ne pas l’écraser. Elle avait fleuri là, dans le macadam. C’est extraordinaire, la force de vie d’une fleur. C’est tellement fragile, tellement éphémère, un rien peut la casser et, en même temps, c’est fort, ça peut pousser n’importe où, avec si peu de terre, d’eau ou de soleil. C’est la beauté de la vie, sa fragilité, ça finit un jour mais ça repousse. C’est une image que j’aime de comparer les gens aux fleurs.