Moi, mon arrivée en France, je l’ai vécue comme une belle histoire.

Nous sommes partis en 63, un an après l’indépendance en Algérie. Il fallait voyager à travers le pays puis prendre le bateau, traverser la mer. J’avais toujours rêvé de prendre un bateau et mon rêve se réalisait. On a débarqué à Marseille. Après on est monté à Roubaix où mon père travaillait dans les filatures à l’usine de Mascara. C’était un travail à la chaîne très, très dur à la filature et il y avait beaucoup d’Algériens là-bas.

On est arrivée, ça devait être au mois d’août, deux, trois semaines après, c’était la rentrée des classes. C’est là que débute mon histoire.

Le jour de la rentrée des classes, j’étais à l’école des filles. J’étais habillée avec ma plus belle robe, une robe Kabyle pleine de garnitures, ornée de zigzags de toutes les couleurs. Une robe multicolore que m’avait faite une de mes tantes en Kabylie avant de fuir. J’arrive en CP, j’avais déjà dix ans, j’étais dans la même classe que ma petite sœur de six ans. J’étais la plus âgée, la plus grande mais je ne m’en rendais pas compte, tellement j’étais une petite fille heureuse dans cette si jolie robe. Je me sentais vraiment quelqu’un d’unique dans ma robe longue magnifique avec mes ballerines noires, vernies et mes socquettes blanches.

En Algérie, j’allais déjà à l’école Coranique, je savais lire et écrire couramment l’Arabe. Mais je commençais tout juste à apprendre le Français. Quand je suis arrivée en France, la seule phrase que je savais en Français c’était :

– Comment tu t’appelles ?

– Je m’appelle Ali.

Je ne savais pas un seul mot de Français, à part cette phrase.

Au début de la classe, la maîtresse passait dans les rangs et interrogeait chaque enfant, un à un. J’étais à la troisième rangée, à la dernière table. Elle arrive et elle me dit :

– Comment tu t’appelles ?

Et moi, forcément, je lui réponds, toute fière :

–  Je m’appelle Ali.

Elle me répète :

– Non ! Non ! Non ! Comment tu t’appelles toi ?

Je m’appelle Ali.

Elle ne s’était attardée à aucune table et comme elle s’attardait à la mienne, j’étais très fière. Pour moi, ça voulait dire que j’étais plus intéressante que les autres, j’étais le personnage de la classe. Deux fois, trois fois, elle m’a posée la question et à chaque fois, moi, avec un grand sourire :

– Je m’appelle Ali.

Le soir, j’ai raconté toute fière l’histoire à mon père et au monsieur qui nous hébergeait et il m’a dit :

– Non, quand on te demande comment tu t’appelles, tu dois dire ton prénom à toi. Tu dois dire :

Je m’appelle Zohra.

Finalement j’ai passé quatre ans dans cette école et j’ai réussi, en quatre années, à apprendre à parler et à écrire le Français et j’ai réussi à avoir mon certificat d’étude.

Zohra, dans ma langue, ça veut dire chance.