Je vais vous raconter comment je suis arrivée ici.
J’ai la maladie de Parkinson depuis plus de cinquante ans mais on ne pouvait pas la diagnostiquer car à l’époque, j’étais trop jeune. Je ne tremblais pas alors, j’avais juste des difficultés pour la marche.
Ici, ils ont trouvé un nouveau traitement que je teste. J’ai le médicament là contre mon ventre et c’est inoculé dans l’organisme à jet constant par une pompe. C’est une bouteille en verre et j’ai toujours peur de me cogner. Ça a l’air de faire effet, je ne tremble presque plus. Ça m’arrive encore mais beaucoup moins.
J’avais le choix entre deux choses, ou trembler et ne pas avoir mal et ne pas trembler et avoir mal. Longtemps, je me suis demandée ce que je préférais. Finalement, je préfèrerais ne rien avoir du tout ; ni trembler, ni avoir mal. Mais à choisir, j’ai choisi de ne plus trembler car c’était pénible, ça faisait du bruit, c’est désagréable pour tout le monde. Pas avoir mal, c’est important mais bon, il faut choisir.
J’ai le ventre plein de boursouflures à cause de l’aiguille et du produit. J’ai un médecin que j’ai été voir à Valence. Je lui ai dis :
– J’ai un problème avec le produit qu’on m’inocule, ça me fait mal, ça me fait comme des grosseurs dans le ventre.
– Oh ! il dit. Vous êtes douillette !
Quel con alors ! Comment donc ? C’est normal d’avoir mal pour lui. C’est un jeune con, ça fera un vieux con.
Enfin, au bout de cinquante ans, je suis contente car je ne tremble plus. Il y a deux mois, on me mettait les pieds dans de la crème, je faisais du beurre. C’était intenable. Un jour, une infirmière m’a dit :
– Mais arrêtez de trembler !
– Mais j’peux pas. Je lui ai dis.
C’est ça le problème, je voudrais bien comme la bonne du curé mais je peux point. Voilà comment je suis arrivée là.
J’ai un mari, j’ai des enfants, j’ai un chat mais je ne les vois pas.
En fait, je me plais ici. Je me plais car mon mari ne vient pas souvent. Il est venu hier, en coup de vent. Il est passé tellement vite qu’il a remué tout le personnel. Mes enfants ont leurs soucis et ça ne téléphone pas. J’ai des enfants qui croient que le téléphone ne marche que dans un sens.
Alors je pense à moi. J’ai jamais pensé à moi pendant ma vie mais maintenant, je pense à moi. Je suis égoïste mais je suis bien. C’est pas chrétien mais tant pis.
Je me plais mais l’autre fois, j’ai pleuré parce que j’ai dit bonjour et que personne ne m’a répondu. Personne ne parle. Ici, on se parle pas souvent, on se croise plus qu’on ne se voit et on se parle peu.
Je m’en fiche. Après tout, ça fait rien mais ça serait mieux si on se parlait plus.
Josette, 74 ans.