La politique d’EDF dans le Nord, c’est maintenant de récupérer le plus de fric possible en organisant des coupures à outrance, hiver comme été. La seule période où on ne coupe pas, c’est entre Noël et jour de l’an pour la trêve des confiseurs. Le trois janvier, on recommence à couper. C’est du vingt à trente coupures par jour en moyenne.

Si tu refuses de couper, on te menace de sanction pour refus d’obéissance. Toi, tu parles de la précarité, des gens dans la misère et des gosses qu’ont rien à bouffer mais on te dit :

– Si, ils ne payent pas, on coupe.

Tu vois de plus en plus de misère et la misère, on la coupe. On n’imagine pas ce que c’est de voir la misère, de voir une baguette et une bouteille de lait pour cinq gamins et toi, tu dois les couper. Avant, quand je voyais ça, j’allais en mairie, j’appelais l’assistante sociale pour dire qu’on ne pouvait pas couper des gens comme ça. Avant 2000, on avait cette liberté de pouvoir faire du bien, de pouvoir aider, de prendre du temps en cas de besoin. Maintenant, si tu ne coupes pas, c’est une faute professionnelle.

Alors, moi, quand je dois couper la misère, je ne coupe pas. Je dis que j’ai coupé et en fait, je laisse le courant avec un macaron CGT Lutte contre la précarité.

Aujourd’hui, on bosse pour tous les fournisseurs. Moi, en tant qu’agent PI, je peux faire des coupures pour Direct énergie, Poweo, EDF ou GDf qui est maintenant un concurrent d’EDF et qui vend de l’électricité. Pour chaque coupure impayée, c’est facturé 150 euros, quel que soit le fournisseur. En sachant que ce ne sont pas des philanthropes, ils répercutent la facture aux clients.

On est en train de mettre en place à la place du service public un service du fric.

Mais on ne se laisse pas faire, on continue à agir. Je me souviens d’une action qu’on avait menée. C’était l’hiver 2003 et il y avait eu le décès d’une famille avec des enfants suite à une coupure non-paiement. Les gens sans électricité avaient utilisé des bougies qui avaient enflammées leur appartement et toute la famille était morte. Suite à ça, on avait fait grève contre les coupures hivernales. On avait été voir le sous-préfet pour dénoncer la politique d’EDF et pour lui demander de prendre des mesures préventives pour assurer la sécurité des personnes en difficulté et éviter d’autres désastres. Sur le parvis de la sous-préfecture, on s’était dit :

Qu’est-ce qu’on fait pour faire savoir tout ça ?

On a décidé de rétablir toute une cité minière où plein de gens avaient été coupés puis de basculer l’hôpital de Béthune en heures creuses. On s’est organisés en deux groupes ; un à l’hôpital et un deuxième groupe d’une vingtaine de copains sont partis pour rétablir les gens coupés.

Opération Rétablissement Robin des Bois. Les gars étaient cagoulés pour pas être reconnus et on a rétabli toutes les personnes coupées en collant un petit macaron CGT. Les gens étaient contents, ils avaient du courant pour se chauffer et ils nous remerciaient.

On avait fait venir La voix du Nord qui est un canard de chez nous. Et le journaliste avait pris plein de photos et on lui avait expliqué la politique de coupure à outrance d’EDF. Le lendemain, l’article paraît. Creux. Vide. Rien ! Je rappelle le journaliste :

– J’ai lu votre article et il n’y a rien de ce qu’il s’est passé et de ce que nous vous avons dit.

Il me répond :

– J’ai un rédacteur en chef qui m’a expliqué qu’EDF, c’est plusieurs dizaines de milliers d’euros de pub par an pour le journal. Voilà ce qu’il s’est passé.