Je suis né en 1919. Ça fait déjà un long voyage. Il y en a bien que trop. On a bien du mal à faire les choses. Avant, il me fallait une seconde pour boutonner ce bouton de chemise et aujourd’hui, il me faut une heure. Et c’est tout comme ça.

Je suis du Coiron, sur le plateau. J’étais paysan. J’ai été paysan toute ma vie, oh ! Que oui !

Et je suis de souche de paysan. C’était la ferme de mes parents et je l’ai continué après eux. A la ferme, on faisait surtout de l’élevage et le lait. Quand j’ai commencé, les tracteurs n’existaient pas, on travaillait avec les bœufs ou les juments et les chevaux. Les tracteurs sont arrivés après la guerre. Je me rappelle bien du premier tracteur, c’était un Pony, un petit tracteur américain. Avant on moissonnait à la main, à la faucille et à la faux puis, il y a eu la moissonneuse et la batteuse.

Mais gamin, on n’avait rien de tout ça, il y a eu en premier la faucheuse pour couper le foin. Elle était tirée par les chevaux.

J’ai arrêté jusqu’à ce que je ne puisse plus travailler. J’ai arrêté, il y a cinq ou dix ans. Je ne travaillais pas comme avant mais j’aidais à faire ce que je pouvais faire.

La ferme existe toujours et c’est mon petit fils qui y est.

J’ai commencé avec vingt hectares et la ferme était trop petite pour vivre et je faisais autre chose à côté. Mais je me suis agrandi petit à petit et aujourd’hui, mon petit fils a cent cinquante hectares. Il a près de cent bêtes.

Mais il ne fait pas de tout comme on faisait à mon époque à moi. On faisait le jardin, les femmes faisaient la basse cour. On avait des poules et tout ça. On avait des œufs. Maintenant, il n’y a plus de poules et les fermiers, ils achètent leurs œufs. C’est la vie d’aujourd’hui.

A l’époque, on faisait tout à la ferme et on savait tout faire.

On faisait des paniers on rempaillait les chaises. Maintenant, on ne fait plus rien, on achète tout. Les gens autrefois savaient se suffirent, aujourd’hui, plus personne ne sait se suffire. Aujourd’hui, même à la campagne, tu demandes à quelqu’un :

– Fais moi un panier. Où, Rempaille une chaise.

Ils ne sauront pas. C’est pour ça que le progrès nous a amenés beaucoup de choses mais il en a supprimé beaucoup d’autres. Et les gens ne sont pas plus heureux pour ça. On les entend, ils ne sont jamais contents de leur sort.

Les bons moments, je ne m’en rappelle pas tant il y en a eu tellement. Mais il y a eu plus de mauvais moments que de bons. C’était pas la vie de maintenant, ça n’a rien à voir. Tout ça, c’est le temps passé, ça. C’est la vie d’autrefois.

Fabien, 92 ans.