Je m’appelle Colette. J’ai maintenant 86 ans et je suis là avec toutes ces dames et tous ces messieurs.
Je suis née dans un petit village de la haute Saône où j’ai fait mon enfance et mon adolescence. Il n’y a que mon père qui travaillait. Mon père était peintre décorateur. Ma mère ne travaillait pas à cause des enfants. On était cinq frères et cinq sœurs et on ne pouvait pas avoir de jouets, plein, comme ça. Il n’y a guère qu’à Noël qu’on avait des petits jouets. On était heureux comme ça. On s’amusait avec la moindre des choses. On s’amusait d’un rien. On jouait à cache-cache, au ballon, à des jeux qui ne coûtaient rien. On faisait un trou dans la terre et on jouait aux billes, que ce soit filles ou garçons. C’était pareil.
Puis, les garçons, au fur et à mesure qu’ils grandissaient, ils allaient travailler à droite, à gauche. Et nous, les filles, on travaillait au besoin et quand on était mariées, on partait.
J’ai travaillé une dizaine d’années avant de me marier. J’ai travaillé dans une maison de maître chez des patrons qui avaient une usine. Je travaillais avec ma sœur et on couchait sur place. Ma sœur faisait la cuisine et moi, je faisais le ménage. J’ai commencé à 14 ans et je suis restée dix ans. On avait quand même des journées de repos et de vacances. On allait se promener avec ma sœur soit à Besançon, soit à Belfort. C’est là où j’ai rencontré mon mari qui était militaire. Avec mon mari, ça a été le coup de foudre. Ça a été tout de suite.
Une fois que je me suis mariée, j’ai suivi mon mari partout où il allait. Il était militaire et je l’ai suivi au Maroc, en Algérie, en Tunisie aussi. Quand il est parti en Indochine, je ne l’ai pas suivi car ce n’était pas ma place. Il est parti dix huit mois. Quand il est parti, notre fils avait trois mois et quand il est revenu, le petit avait grandi.
A la fin, on a fini en Algérie jusqu’au bout puis on est rentré au moment de la débâcle. On est venu en France et on a été à droite à gauche.
Avec mon mari, c’était une bonne vie, j’ai eu une paix totale, vraiment magnifique avec lui. Il était vraiment formidable. On a été heureux simplement.
Il est parti, il y a cinq ans et c’est dur. Quand on a vécu plus de cinquante cinq ans ensemble et se retrouver toute seule, c’est dur. On a été heureux comme pas beaucoup. Je souhaite à tout le monde d’être heureuse comme j’ai été heureuse. Mon mari était unique.
On est bien quand on est tous ensemble et quand un manque, c’est dur. C’est toujours un trou, un trou.
Pourquoi je me retrouve ici ? Je suppose que c’est pour ça. Dans la même année, il y a cinq ans, j’ai eu deux frères, une sœur et mon mari qui sont morts. C’était un gros choc pour moi. Je ne le montrais pas mais c’était à l’intérieur. C’est certainement pour ça que je suis arrivée ici. C’est pour ça que j’ai eu autant de chagrin. Maintenant ça va mieux mais je suis là jusqu’à la fin. Je ne sais pas quand. Ça peut demain ou dans un an ou dans dix ans. Je ne sais pas. Je suis bien. Je suis toujours bien.
Colette, 86 ans.