En 68, j’avais vingt ans et je travaillais à Usinor. Quand 68 est arrivé, l’usine était en grève générale. Tout était bloqué. Ici, dans le Nord, à Usinor, on a fait cinq semaines de grève générale, on a été plus longtemps en grève que partout en France.
Une histoire que je peux raconter parce que je connais très bien le gars à qui elle est arrivée puisque ce gars, c’est moi.
Un jour, pendant la grève, on a participé à une manifestation sur Paris. c’était un prêtre ouvrier qui nous avait convaincu d’y aller. On était toute une colonne de bus à rouler les uns derrière les autres. On est arrivé, c’était une foule impressionnante. Jamais, j’avais vu une telle foule. On était complètement paumé. Pour certains c’était la première fois qu’il descendait à la capitale. Le prêtre ouvrier nous avait dit de faire attention de ne pas se perdre et de bien le suivre. Le prêtre ouvrier, c’était un peu notre berger, nous, on le suivait partout où il allait. On était tranquille, bien en rangs.
A un moment, les CRS ont chargé. On s’est retrouvé dispersé sur une énorme place. Ça chauffait dur ! Ça courait dans tous les sens et nous, on suivait notre prêtre qui criait :
– Suivez-moi les gars ! Suivez-moi, les gars !
Nous, on le suit. On arrive à une bouche de métro. Merde ! Les CRS étaient déjà par là et ils canardaient les manifestants avec des lacrymogènes.
– Non ! Pas par là les gars ! Suivez-moi !
On s’éloigne de la place sans savoir où on allait, on suivait notre berger qui criait :
– Vite ! Les gars, on va aller par là.
On s’engage dans une ruelle. Manque de pot, la ruelle bouchée par une rangée de CRS.
– Demi-tour, les gars !
On veut faire demi-tour. Les CRS arrivaient de l’autre côté. C’était la panique à bord, les gars filaient comme des lapins. On se retrouve bloqué, pris au piège. Le prêtre nous dit :
– Suivez-moi, on va rentrer par là.
Par là, il y avait une entrée. On s’engouffre par la porte. On pousse une seconde porte et on entre dans un petit hall. On était une bonne dizaine, serrés, derrière le prêtre. On arrive à un guichet. Il y avait une petite dame qui était là, toute surprise de nous voir débouler. Elle demande au prêtre :
– Combien vous voulez de billets ?
En fait, on s’était retrouvé avec notre cher prêtre ouvrier dans un cinéma porno. Tout au moins au guichet, car on n’est pas rentré pour voir de film. On en a profité pour discuter un peu avec la caissière. Elle a rigolé et elle nous a laissés rester quelques minutes, le temps que ça se calme dehors. Ce jour là, on a trouvé refuge dans un cinéma porno.
Moi, je peux dire sans mentir, que c’est un prêtre ouvrier qui m’a amené pour la première fois dans un cinéma porno en 68.