Category Archives: graines de mémoires d’Ardèche

Avant, on chantait en famille quand il y avait un repas. On chantait pour le dessert. Maman avait une très belle voix et elle chantait Femmes que vous êtes jolies et mon papa chantait Les feux de la Saint Jean. Il y avait de bien belles chansons comme le Temps des Cerises et bien d’autres.

Je suis malheureuse parce qu’avant j’entendais bien et maintenant, je n’entends rien. Je suis dégoûtée de la vie maintenant.

Mais je me souviens quand ma mère chantait :

Femmes que vous êtes jolies quand près du berceau d’un enfant…

Le reste je ne m’en souviens plus mais c’était merveilleux de l’entendre chanter. Peuchère ! Elle chantait bien ma mère. C’est bien de pouvoir chanter.

Suzanne, 91 ans.

Josette 77 ans :

C’est aujourd’hui dimanche, tiens ma jolie maman…

On achetait dans la rue des livrets de chanson qu’on chantait en famille tous ensemble.

Aujourd’hui, on ne chante plus on croupionne. Mon père disait des filles qui se tortillait du derrière qu’elles croupionnent. Aujourd’hui, elles ne chantent plus, elles se croupionnent, elles chantent avec leurs derrières. Et quand elles ont fini de se croupionner, la chanson est terminée et tout le monde applaudit. Pour qu’une chanson soit intéressante, il faut qu’elle dise quelque chose, il faut qu’elle raconte quelque chose.

 

Suzanne 91 ans :

Aujourd’hui, ma mémoire fout le camp de plus en plus. J’oublie même le jour que l’on est. Ici, c’est monotone, du dimanche au lundi, les jours sont tous pareils. Il n’y a pas de changement.

Pour nous souhaiter le dimanche, on a une brioche le matin et une glace, le midi. Quand on voit la brioche, on sait que c’est dimanche.

Je veux vous remercier de ce que vous avez fait revenir, des anciennes choses de notre vie. On a besoin de parler un peu, de se détendre. On a passé une bonne après-midi à parler du passé.

Maintenant, on ne vit plus qu’avec l’illusion. Quand on ne dort pas la nuit, les choses nous reviennent, nous reviennent. Même des mots qu’on ne trouve pas la journée, la nuit, nous reviennent.

Simone 90 ans :

C’est surtout la nuit, c’est vrai. Moi, j’oublie même le nom des gens que je connais.

Jacqueline 77 ans:

On devrait faire ça plus souvent, se retrouver ensemble pour parler.

Suzanne  91 ans :

Et surtout profitez bien de la vie.

Quel était mon travail. Je ne me souviens plus très bien de tout mais je vais essayer de me rappeler…

Comme je ne voulais plus aller à l’école, le tailleur du pays est venu solliciter maman pour que j’aille travailler chez lui. Je faisais la couture pour lui. Puis il y a eu la guerre, il a été mobilisé et il a fermé son magasin. Il y avait une petite industrie à Villeneuve et là, j’ai travaillé dans le cuir. On faisait des ceinturons pour l’armée. On travaillait beaucoup pour l’armée à l’époque. C’est là que j’ai rencontré mon mari. J’avais dix neuf ans et lui, avait huit ans de plus.

Est-ce que vous connaissez le métier de bourrelier ? Le bourrelier, c’est celui qui faisait les harnais des chevaux. Il avait beaucoup de travail parce qu’il y avait beaucoup de chevaux. Mais après la guerre, il n’y avait plus de chevaux. Puis ça c’est modernisé avec les tracteurs qui ont beaucoup fait du mal. Il y a eu les moissonneuses, les batteuses. Plus de chevaux. Alors, il a fallu qu’il change. Il a travaillé dans la fabrication et la réparation des bâches de camion.

Puis, j’ai été enceinte de mon fils et j’ai arrêté un peu. Voilà ma vie.

Moi, je suis restée cinquante ans avec mon mari et puis je l’ai perdu. Il est mort à quatre vingt onze ans. Mais cinquante ans, ça a été pas mal quand même. C’est une chose importante pour moi.

Jusqu’à quatre vingt cinq ans, j’étais bien, mais d’un coup, j’ai tout perdu. Petit à petit, on abandonne tout.

Malheureusement, je ne suis pas la seule, il y en a d’autres comme ça. C’est triste des fois mais il faut garder le moral.

Je n’ai pas eu une grande famille, ni frère, ni soeur, j’étais fille unique et j’ai eu un seul enfant. Alors, il vient me voir mais ce n’est pas pareil que celle qui a une grande famille avec de l’affection.

Des fois, je profite des visites des uns et des autres pour passer un bon moment. Et ces personnes qui sont là, Josette et Claude, elles sont très gentilles. Elles essayent de faire plaisir aux gens et pour ça, peuchère ! C’est quelque chose de formidable. Elle donne de l’amitié aux autres et ça c’est bien.

Josette émue :

– Oh ! Pas beaucoup.

– Mais si beaucoup et c’est bien ce que vous faites Madame.

– On est là pour ça.

– Oui mais beaucoup pourrait mais ne le font pas.

Suzanne, 91 ans.

Avant, j’étais aide-soignante à l’hôpital de Saint Germain en Laye dans les Yvelines. J’étais en salle d’accouchement. J’étais avec les sages femmes et c’est moi qui récupérait les bébés qui naissaient, je les pesais, je leur faisais leur première toilette, je les habillais et tout ce qu’il fallait faire. Une fois, il y a une femme qui accouchait. Juste avant, elle avait perdu sa petite fille. Elle était sortie faire des courses et sa fille était montée sur une chaise dans la cuisine et elle était passée par la fenêtre ouverte. Le jour où elle a accouché, son cordon était sorti avant la tête et c’est très dangereux pour le bébé et pour la maman. Il fallait faire une césarienne d’urgence. J’ai couru dans l’hôpital pour chercher le chirurgien. Je criais :

– Vite ! Vite !

– Le docteur est arrivé à temps et il a réussi à sauver le bébé et la maman.

Le mari, après m’a offert 24 roses rouges de baccarat. J’en ai eu des cadeaux. J’ai vu naître beaucoup de bébés. C’était le bon temps. Maintenant, je regrette tout ça.

J’ai un fils à Fréjus, une fille à Marseille et mon dernier qui est là. J’habitais seule dans un deuxième étage. Mais mon fils n’a pas voulu que je reste seule et il m’a pris avec lui. C’est mon fils qui m’a fait venir ici. Il habite ici à Aubignas. J’habitais chez lui mais j’ai fait un coma. On n’a jamais su pourquoi. On m’a fait faire un tas d’examens, on n’a rien trouvé. Et mon fils m’a placée ici mais j’aime pas. J’aime pas. J’ai toujours vécu à la ville avant. J’arrive pas à m’habituer à ici.

Ici, on est bien mais c’est pas ma vie…

Mais la vie continue.

Heureusement, mon fils vient souvent me voir. Ma voisine peut le dire, mon fils vient souvent me voir.

Jacqueline 77 ans

Quand ils ne sont pas trop loin, ils viennent nous voir.

Suzanne, 91 ans.

 

Je vais vous raconter comment je suis arrivée ici.

J’ai la maladie de Parkinson depuis plus de cinquante ans mais on ne pouvait pas la diagnostiquer car à l’époque, j’étais trop jeune. Je ne tremblais pas alors, j’avais juste des difficultés pour la marche.

Ici, ils ont trouvé un nouveau traitement que je teste. J’ai le médicament là contre mon ventre et c’est inoculé dans l’organisme à jet constant par une pompe. C’est une bouteille en verre et j’ai toujours peur de me cogner. Ça a l’air de faire effet, je ne tremble presque plus. Ça m’arrive encore mais beaucoup moins.

J’avais le choix entre deux choses, ou trembler et ne pas avoir mal et ne pas trembler et avoir mal. Longtemps, je me suis demandée ce que je préférais. Finalement, je préfèrerais ne rien avoir du tout ; ni trembler, ni avoir mal. Mais à choisir, j’ai choisi de ne plus trembler car c’était pénible, ça faisait du bruit, c’est désagréable pour tout le monde. Pas avoir mal, c’est important mais bon, il faut choisir.

J’ai le ventre plein de boursouflures à cause de l’aiguille et du produit. J’ai un médecin que j’ai été voir à Valence. Je lui ai dis :

– J’ai un problème avec le produit qu’on m’inocule, ça me fait mal, ça me fait comme des grosseurs dans le ventre.

– Oh ! il dit. Vous êtes douillette !

Quel con alors ! Comment donc ? C’est normal d’avoir mal pour lui. C’est un jeune con, ça fera un vieux con.

Enfin, au bout de cinquante ans, je suis contente car je ne tremble plus. Il y a deux mois, on me mettait les pieds dans de la crème, je faisais du beurre. C’était intenable. Un jour, une infirmière m’a dit :

– Mais arrêtez de trembler !

– Mais j’peux pas. Je lui ai dis.

C’est ça le problème, je voudrais bien comme la bonne du curé mais je peux point. Voilà comment je suis arrivée là.

J’ai un mari, j’ai des enfants, j’ai un chat mais je ne les vois pas.

En fait, je me plais ici. Je me plais car mon mari ne vient pas souvent. Il est venu hier, en coup de vent. Il est passé tellement vite qu’il a remué tout le personnel. Mes enfants ont leurs soucis et ça ne téléphone pas. J’ai des enfants qui croient que le téléphone ne marche que dans un sens.

Alors je pense à moi. J’ai jamais pensé à moi pendant ma vie mais maintenant, je pense à moi. Je suis égoïste mais je suis bien. C’est pas chrétien mais tant pis.

Je me plais mais l’autre fois, j’ai pleuré parce que j’ai dit bonjour et que personne ne m’a répondu. Personne ne parle. Ici, on se parle pas souvent, on se croise plus qu’on ne se voit et on se parle peu.

Je m’en fiche. Après tout, ça fait rien mais ça serait mieux si on se parlait plus.

Josette, 74 ans.

J’ai un cousin qui a eu la drôle d’idée de partir au Burkina pour élever des chèvres. Il est parti vivre là-bas avec une fille et ses chèvres et il a été foutu dehors quand ils ont tué le président de là-bas. Il est rentré en France où il a monté une fromagerie en Ardèche et il vend des fromages. Il n’a plus la fille mais il a gardé les chèvres.

C’est pour ça qu’il y a une quinzaine d’années, j’ai été au Burkina Faso à Ouagadougou mais je n’y retournerais pour rien au monde. Là-bas, c’est l’horreur. Je n’ai pas aimé, je suis restée un mois mais ça m’a paru long. On n’était pas à la ville, on était dans la brousse et pour être dans la brousse, on était dans la brousse, il n’y avait rien. On était tellement isolé de tout, c’était le vrai trou du cul du monde. Je n’ai jamais vu ça, d’être au milieu de rien. Je n’aime déjà pas la campagne mais là c’était pire que tout. Je n’ai jamais eu aussi peur d’être toute seule au milieu de tous ces grands noirs et en plus, ils ne parlent pas tous le français.

Aujourd’hui, je suis là dans la Drôme et je n’aime pas ça non plus.

Moi, j’étais dans l’enseignement même si je n’ai pas une tête à ça. J’enseignais le français et le latin au lycée Victor Duruy à Paris. J’étais une parisienne Ouh ! la ! la ! Et je le suis encore. Je suis descendue ici à la retraite de mon mari. Je l’ai suivi. J’étais à Bourg les Valence et me voilà là en maison de retraite, en hôpital.

Avant, les gens ne mettaient pas leurs parents dans des maisons de retraite. Les musulmans ne mettent jamais leurs parents en maison de retraite. Il n’y a que nous qui ne sommes plus civilisés.

Aujourd’hui, les logements sont trop petits, on n’a pas trop de place. On met le grand-père sur un clic-clac. Puis le clic-clac est utilisé pour un gosse et le grand-père, à part le placard, il ne peut aller qu’en maison de retraite. C’est une forme de placard dans le fond, une maison de retraite.

Je trouve le placard bien agréable même s’il manque la convivialité. Vous rentrez dans la salle où on mange, il n’y a pas un bruit. On se croirait dans un cimetière, pas même un bruit de couteau, rien. C’est monstrueux ! Un tel silence ! On n’entend même pas :

– Passez moi le sel, passez moi le pain.

Rien. C’est pire que le silence de la brousse au Burkina Faso.

Josette, 74 ans.