Category Archives: graines d’humour

Mon père était ce qu’on appelait autrefois un amuseur. C’est un homme qui avait un talent fou. La semaine, il travaillait à l’usine et le samedi, il partait avec son violon pour animer des bals ou des fêtes. Entre deux chansons, il racontait une histoire. C’était souvent des blagues un peu paillardes mais ça faisait rire tout le monde. Et les gens en avaient bien besoin car la vie était dure.

C’était des petites histoires comme celle d’un garçon un peu simple d’esprit qui voulait se marier. Il va voir le curé et il lui demande de lui trouver une gentille fille. Le curé lui trouve une charmante jeune fille qui se nomme Carabine.
Le mariage a lieu et trois mois plus tard, le jeune marié un peu simplet s’aperçoit que sa femme est enceinte. Il retourne voir le curé.

– Vous ne m’aviez pas dit que la carabine était chargée.

Et ça rigolait. Et mon père reprenait son violon

Une autre, un peu différente, qu’il aimait bien raconter.

Un jour, un roi veut savoir quelle est la part du peuple. Il convoque ses ministres et ses conseillers et il leur demande :

– Quelle est dans mon royaume la part du peuple ?

On lui apporte des livres pleins de colonnes de chiffre, des graphiques avec des courbes pour représenter au monarque tout ce qui est fait pour le peuple.

– Je ne comprends rien à tous vos tableaux et à tous vos chiffres.

Son fou lui dit :

– Moi, sire, je peux vous montrer de façon beaucoup plus simple quelle est la part du peuple dans votre royaume.

Le fou fait rassembler toute la cour ; le roi, tous ses ministres, conseillers, chambellans, chefs de cabinet et il les fait aligner en une longue file. Puis, il fait venir un paysan et un ouvrier qu’il place à l’extrémité de la rangée de nobles et de dignitaires. Ensuite, le fou amène une glace, un eskimau au chocolat pour être plus précis, il le tend au roi et il lui demande de lécher la glace deux fois. Le roi lèche la glace deux fois. Le fou reprend la glace et la tend au premier ministre qui à son tour lèche la glace, le suivant est le ministre de la guerre et ainsi de suite de ministre en chambellan, de conseillers en chef de cabinet, chacun y va de son coup de langue. Quand la glace arrive à la fin à l’ouvrier et au paysan, il ne reste plus rien que le bâtonnet de bois.

Alors le fou se tourne vers le roi :

– Voilà sire, la part du peuple, c’est ce qu’il reste une fois que vous même et tout vos ministres et conseillers se sont servis. Comme il reste rien, le peuple est pas content alors pour ne pas qu’il se révolte on lui donne le bâton.

C’est une histoire qui avait beaucoup de succès quand mon père l’a racontait et malheureusement, je crois que c’est toujours aussi vraie aujourd’hui, même si on n’est plus au temps des rois.

C’est l’histoire d’une femme qui fait des tapis. Ces tapis sont tellement biens et beaux que tout le monde en veut. Cette femme a une fille tellement fainéante qu’elle n’arrive pas à la marier. Alors, elle fait croire que c’est sa fille qui sait faire les tapis. Il y a un homme qui vient et qui dit :

– Moi, je veux une femme qui sait faire des tapis comme ça.

Il demande la main de la fille. Après, il l’a épousé. Quelques temps après, il dit à sa femme :

– Je ne t’ai jamais vu faire les tapis comme ta mère. Je veux que tu me fasses des tapis à partir d’aujourd’hui.

Elle dit d’accord. Dès que son mari est parti au travail, elle part voir sa mère. Et c’est sa mère qui lui fait des tapis à sa place. Quand son mari rentre, il lui demande où est le tapis. Elle lui dit :

– J’ai commencé un tapis mais je n’ai pas encore terminé.

Après, l’homme, il insiste pour voir le tapis. Elle va voir sa mère et elle lui demande comment faire. Sa mère lui explique ce qu’elle doit faire et lui dit d’amener son mari le lendemain. Le lendemain, quand le mari arrive avec sa femme, il voit la mère qui dort mais on voit ses fesses qui sont toutes noires. Il dit à sa femme :

– Couvre ta mère.

Après, il demande à sa femme :

– Mais qu’est-ce qu’elle a ta mère ? Pourquoi son derrière est tout noir ?

Sa femme lui répond ce que lui a dit sa mère :

– Ma mère a le derrière tout noir parce qu’à force d’être assise pour faire les tapis, son derrière est devenu comme ça.

Après, il lui a dit :

– Si c’est comme ça moi, je ne veux plus que tu fasses les tapis. J’ai pas envie que tu ai le derrière tout noir comme ta mère.

Ma mère nous a racontés cette histoire il y a trois jours parce que ma sœur ne voulait pas faire la cuisine. Ma sœur n’est pas comme nous. Elle n’obéit pas. Un jour, mon père lui a demandé à boire. Elle a répondu :

– T’as des pieds, t’as des mains, alors lève toi !

Elle a reçu une gifle. Ma mère, quand c’est comme ça, ne crie pas. Elle ne s’énerve jamais. Elle dit :

– assieds-toi. je vais te raconter une histoire.

Ma mère raconte une histoire comme celle que je viens de raconter, ma soeur se met à rire et ça l’aide à comprendre. A chaque fois, elle raconte une histoire par rapport à des choses de la vie.

Ma mère s’appelle Sfia, elle connaît plein d’histoires sur tout.

Moi, je ne suis pas né en France. Je viens de Tunisie. Pour les Français, la Tunisie, c’est les vacances, mais pour les de Tunisiens, c’est une dictature. Là-bas, je n’avais pas le droit d’exprimer mes idées librement. J’ai fui mon pays pour chercher la liberté. Je suis venu en France. Il mes reste quelques histoires de là-bas dans ma mémoire.

C’est une histoire que j’ai apprise en Tunisie à l’école Arabe.

Ça se passe dans un petit village de Tunisie. Là-bas, il y a un paysan qui vit avec sa famille.

Un jour, il reçoit un de ses vieux copains d’école qui lui s’est installé en ville. Il veut lui faire honneur, il dit à sa femme :

– Tu vas préparer cinq poulets pour notre invité.

Son ami arrive, il s’embrasse et il s’installe pour le repas. Sa femme amène un superbe plat avec les cinq poulets rôtis.

Le paysan était avec sa femme, ses deux fils, ses deux filles et il dit à l’invité de faire le partage.

L’autre dit d’accord et il demande :

– Je partage en nombre pair ou impair.

Son copain voit pas le pourquoi mais il répond :

– En nombre impair.

– Bien ! C’est pas difficile ! Le père, la mère et une poule, ça fait trois. Les deux fils et une poule, ça fait trois. Les deux filles et une poule, ça fait trois. Et moi, l’invité avec deux poules, ça fait trois.

le paysan, il se dit qu’il s’est fait avoir alors il dit :

-Ho ! La ! La ! Tu sais ma langue a fourché. J’ai dit impair mais c’était en nombre pair que je voulais dire.

– D’accord ! C’est pas compliqué ! On va faire le partage en nombre pair.

Le père, ses deux fils et une poule, ça fait quatre.

La mère, ses deux filles et une poule, ça fait quatre.

Et moi, l’invité et trois poules, ça fait quatre.

Et il a bouffé les trois poules et il est reparti.

C’est une histoire qui se trouvait sur mon livre d’exercice arabe sur la manière d’écrire les nombres.

Je me souviens quand mon père m’a emmené la première fois à Marrakech sur la place Djama el-Fna. Pour moi, ça a été un moment magique. J’étais enfant et je voyais tout ce monde, il y avait les odeurs de viandes grillées, d’épices qui se mélangeaient dans l’air et toutes ces couleurs, tout ce monde. Je m’accrochais à mon père. Il n’y avait pas autant de touristes qu’aujourd’hui. Il y avait les jongleurs, les danses, les montreurs de serpent.

Je me souviens bien des conteurs qui venaient sur cette place.

C’était des gens qui ne savaient ni lire, ni écrire mais fallait voir la parole, la langue qu’ils avaient. C’était magique de les écouter.

Il y avait beaucoup d’histoires de Djeha. Djeha on le prend pour un idiot mais c’est un rusé. Je me souviens de celle où Djeha ne peut plus payer ses dettes et on vend sa maison.

C’est Djeha, il est un pauvre, très pauvre. Un jour, il ne peut pas rembourser ses dettes et on vend sa maison. Le nouveau propriétaire arrive et voit Djeha, en larmes, à genou par terre. Djeha lui montre un clou, un vieux clou tout rouillé, tout tordu sur le mur.

– Tu vois ce clou planté dans le mur, c’est le clou de mes ancêtres. Il y a mon père qui y accrochait sa djellaba, le père de mon père y accrochait sa djellaba. Je t’en supplie, laisse moi juste ce clou enfoncé dans ce mur. L’autre dit :

– D’accord.

– Gloire à toi ! Tu es un juste parmi les justes, tu as ta place de réservée déjà au paradis.

Ils vont chez le notaire, et dans l’acte de vente, il est marqué que le clou enfoncé dans le mur reste la propriété de Djeha. Le propriétaire s’installe dans sa maison. Et voilà Djeha qui arrive. Ils se saluent, ils demandent des nouvelles.

– Ça va Djeha?

– Ça va. Je viens voir mon clou.

Et Djeha entre dans la maison et accroche un sac sur le clou.

– Qu’est-ce que tu accroches là ?

– J’accroche ce que je veux sur mon clou.

Et Djeha s’en va.

A peine il est parti, ça sent mauvais dans la maison, ça pue la charogne et l’odeur vient du sac accroché au clou. Il y a plein de mouches qui arrivent et qui bourdonnent autour du sac. On fait chercher Djeha qui revient.

– Mais qu’est-ce que tu as mis dans ce sac qui pue comme ça ?

– C’est juste des entrailles de bouc et trois rats crevés.

– Mais tu es fou ! Retire tout de suite ça de chez moi.

– Je mets ce que je veux dans mon sac qui est accroché à mon clou.

– Mais non !

– Mais si !

– Mais non !

– Bon écoute. Dit Djeha. On va pas se disputer bêtement pour un clou. On va aller voir le cadi et il dira qui a raison et qui a tort.

Ils vont voir le cadi.

Le cadi les écoute et il demande à voir l’acte de vente. A la fin, il donne son jugement :

– Il est bien marqué sur l’acte de vente que ce clou enfoncé dans le mur de ta maison est la propriété de Djeha alors Djeha peut accrocher ce qu’il veut sur son clou. Il fallait réfléchir avant de signer.

Le propriétaire a abandonné la maison et Djeha est revenu chez lui et il a accroché sa djellaba sur Son clou.

C’est pourquoi, au Maroc, quand on achète une maison ou quelque chose, on dit :

– Lis bien l’acte de vente. Souviens-toi du clou de Djeha !

Ah ! Les cons !

Une année, avec ma femme et les gosses, on partait en vacances du Nord de la France jusque dans le Sud Ouest.
On avait pris l’autoroute au petit matin. Ça roulait bien. Sur un arrêt d’autoroute, je m’arrête pour pisser. C’était encore des chiottes à la turque. A la fin, normal, je tire la chasse et là, c’était les grandes eaux de Versailles, le déluge, un vrai geyser ! Je savais plus où me foutre là dedans. Je me suis fait arroser, fallait voir ! J’avais le bas du pantalon et les godasses trempés. Je sors en gueulant :

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !

Ma femme et les gosses qui rigolaient dans la bagnole. Moi j’étais en rogne et je leur ai gueulé dessus qu’c’était pas drôle. Bon tout le monde se tait. Je change de godasses et de chaussettes et on repart.

Deux heures plus tard, je m’arrête à une station service pour faire le plein. J’avais le pare brise plein de moustiques et d’insectes écrasés. J’décide de tout nettoyer. Il y avait un seau avec une raclette. Je nettoie le pare brise avant puis j’attrape le seau pour faire l’arrière.

Les cons, ils avaient rien trouvé de mieux que d’accrocher leur seau avec une chaîne. Le seau se renverse sur mes godasses et me voilà encore trempé.
-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons ! Vraiment faut être con pour attacher un seau comme si on allait leur voler.

Je gueulais comme un putois. Personne rigolait dans la voiture.

On est repartis. J’étais tellement en colère que j’avais décidé de pas faire le plein chez des connards pareils.
On roule, on roule et plus de station. Et il arrive ce qui devait arriver, je me retrouve en panne d’essence sur l’autoroute.

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !

Je gueulais dans la voiture et personne ne mouftait là dedans. J’ai été obligé d’aller à pied pour appeler une dépanneuse.
On est arrivé le soir, j’étais encore en rogne.
Le lendemain, quand j’ai raconté cette histoire à un gars du camp de toiles et que je disais :

-Ah ! Les Cons ! Ah ! Les cons !

Il s’est marré comme une baleine. Et là, je me suis rendu compte et je me suis senti un peu con.

Depuis, je raconte cette anecdote et ça nous fait bien rire. Et quand des fois, je me fous en rogne après un truc ou quelqu’un, ma femme me dit :

-Ah ! Les cons ! Ah ! Les cons !

Graines de mémoire

Un marron en or

Cette année là, au mois d’octobre, je m’étais foutu sur la gueule avec mon chef. On s’était pris de bec comme ça arrivait souvent, mais à la fin, il m’avait tellement énervé, j’en ai eu marre et bing ! Je lui avais collé un marron.

Au début, il me faisait la gueule, on se disait plus bonjour. Puis ça s’est calmé et on a recommencé à se parler.
Arrive les avancements de fin d’année.
Tous les ans, pour les avancements, on faisait un grand repas et avant, il y avait l’apéro, là, il nous annonçait les avancements, c’était la tradition.
Moi, je parlais, je parlais …
Le chef me demande de me taire pour écouter la liste des avancements.
Bon, je me tais. Je me doutais bien que moi, je risquais pas d’en avoir, vu que je lui avais collé un marron deux mois avant.
Or là, il annonce mon nom. Je me suis dit :
-C’est pas possible ! C’est pas possible ! Il se fout de ma gueule.
Et non ! J’ai vraiment eu un avancement.
Voilà que le chef vient me voir, il me fait :
-T’es content hein ? T’es content ?
Moi, je le regarde et je lui dis :
-Je vais pas dire que je suis pas content d’avoir un avancement. Je suis content comme tout le monde. Mais tu vois, je regrette qu’un truc.
Là, il me fait :
-Quoi ? Tu regrettes quoi ?
-Ben, je regrette de pas t’avoir foutu sur la gueule plus souvent, j’aurai eu plus d’avancements.

L’autre jour, en REX, on a eu une réunion de CEX.

Tous les CEX discutaient ensemble et se racontaient leurs histoires de CEX. Moi, j’étais secrétaire mais on m’avait baptisé sexcrétaire et je prenais en note les paroles des CEX pour faire un compte rendu du REX.

A l’époque je travaillais dans un SEXE. Le SEXE, c’est un service exploitation électricité, le REX c’est une réunion de Retour d’Expérience et les CEX avec un C ce sont les chargés d’exploitation.

A EDF, on a toujours eu un tas d’abréviations. C’est un véritable jargon incompréhensible pour les gens de l’extérieur. Et chaque métier a ses propres abréviations. Ça fait partie de la maison.

Mais depuis quelques temps les directions ont inventé de nouveaux termes comme ceux là. Ça peut paraître rigolo mais en fait si on réfléchit bien c’est pas anodin et ceux qui ont pondu ça savent très bien que ces mots ont un double sens. REX c’est un nom de chien soumis, obéissant.

A la limite, c’est un peu déshonorant vis à vis des gens de terrain.

Au boulot, se faire traiter de Sexcrétaire ou dire qu’on va à une réunion de CEX, même si on en rit, c’est dégradant sur le fond.

Les mots veulent dire quelque chose et c’est jamais innocent tout ça.

Je suis arrivée ici en 1947. Ici, je ne parlais pas la langue, je ne connaissais personne, personne ne me connaissait. J’arrivais d’un petit village d’Italie. Je venais de me marier. Ici, j’étais perdue. Ça a été très difficile au début. Heureusement, ma nouvelle famille était très bien. J’ai été très bien accueillie. Avant dans le quartier, c’était beaucoup d’Italiens, beaucoup de familles qui vivaient là. Il y avait quelques familles de Français mais ils étaient séparés des Italiens au début. Ils nous voyaient pas d’un bon œil. On parlait tous italien entre nous. On discutait beaucoup dehors. On se donnait des nouvelles, on se racontait nos histoires.

J’ai appris le français toute seule avec ma belle famille. J’ai appris mot après mot pour dire le pain, l’eau, tout.

Dans la famille de mon mari, il avait sept frères et sœurs, tous plus jeunes que lui. Mon mari était l’aîné et tous les matins, il partait travailler et je restais avec ma belle famille. Alors, la journée, ces jeunes frères de treize, quatorze ans m’apprenaient à parler le français. Mais ils s’amusaient à m’apprendre des bêtises. Ils me disaient en Italien :

– Ce soir, quand ton mari va rentrer, il va t’embrasser, il va te caresser et il va te demander si ça va. Alors, il faudra que tu lui répondes en français, Je t’emmerde. Et tu verras comme il sera content.

Et moi, le soir, quand mon mari rentrait de son travail, quand il me demandait si ça allait, je lui répondais :

– Je t’emmerde.

Alors, il me demandait où j’avais appris ce mot et moi je lui racontais que c’était ses frères. Après, il se mettait en colère après eux et ma belle mère aussi. Mais eux, ils recommençaient et ils m’apprenaient des choses comme ça, des insultes, des mots sur le sexe que je ne peux pas dire ici.

Au début, ici, c’était les Italiens qui sont venus en premier. Puis, on a vu arriver les Espagnols et les Portugais puis les Arabes et les noirs. En Italie, dans mon village, je n’avais jamais vu de noir. C’est ici en France que j’ai vu un noir pour la première fois. Et les Chinois arrivent maintenant.

Ici, beaucoup de choses ont changé. Ici, on a vu arriver des gens de partout. Ici, il y a toujours eu des gens qui venaient de loin et ça n’a jamais empêché de s’entendre bien entre nous.