J’étais couturière pendant dix ans et après, j’ai fait les marchés avec ma belle mère quand son mari est mort.

On vendait des petits ballots de tissus sur les marchés dans les villes ; Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Asq, Lille et un peu partout. On allait en tramway avec nos ballots de tissus. On vendait des petits coupons de tissus qui venaient des filatures de Roubaix. Il y en avait des filatures à Roubaix. Il y en avait du travail. Il y en avait du monde.

Après, comme mon mari a trouvé un travail de rédacteur géomètre à Tourcoing, il a acheté une voiture et nous aidait. Le matin, il nous amenait sur les marchés puis il partait à son travail. Le midi, il revenait nous chercher et il nous emmenait sur un autre marché et il repartait travailler sur Tourcoing et le soir, encore pareil, il revenait nous chercher à sept heures. Une fois rentré, on avait encore du travail pour préparer les tissus pour le lendemain. Le dimanche, je nettoyais ma maison de haut en bas et je faisais mon marché puis je préparais à manger. Pour ça, on a travaillé ! Et jamais, j’ai été au malade.

J’ai travaillé avec ma belle-mère jusqu’à ses soixante quinze ans. A 75 ans, elle faisait encore les marchés. Moi aussi, j’ai fait longtemps les marchés. J’ai arrêté les marchés en 1977 parce que ma belle-mère ne pouvait plus rester toute seule. Le docteur m’a dit :

– Elle ne peut plus rester toute seule. Elle se trompe dans ses médicaments. Où elle vient avec vous où elle va en maison de retraite.

Ma belle-mère a dit :

– Je viens avec vous.

Elle est venue chez nous et j’avais peur qu’elle ne s’habitue pas car elle avait un caractère très indépendant. C’est à ce moment là que j’ai arrêté de travailler pour la garder. Elle avait 82 ans et elle est morte à 92 ans. Elle a vécu dix ans avec moi. Elle avait un lit en bas parce qu’elle ne pouvait plus monter les escaliers. Moi, la nuit, chaque nuit, je me levais cinq, six fois pour voir si ça allait, si elle tombait pas. J’avais une petite sonnette avec une chaîne et je lui avais dit :

– Si ça va pas, tu sonnes et je descends.

Mais elle n’avait plus toute sa tête et des fois, elle ne sonnait pas. Ça n’a pas été facile. A la fin, elle ne m’appelait plus Gabrielle, elle m’appelait Bertha. Je lui demandais :

– Pourquoi tu m’appelles Bertha ?

Elle perdait la mémoire.

C’est pour ça que je n’ai pas une grosse retraite parce que j’ai pas eu tout mon compte car j’ai du arrêter de travailler pour m’occuper d’elle et je n’ai plus travaillé toutes ces années. Mais c’était mon rôle de m’arrêter pour la garder. C’est ma sœur qui a gardé ma mère jusqu’à 87 ans.

Gabrielle, 87 ans.