J’ai eu 87 ans en juin. Je suis arrivée ici en juillet. Je suis restée quatre vingt sept ans moins deux mois dans le Nord.

Je vais commencer par le commencement, je suis née le 14 juin 1925 au 198 rue Kléber à Croix Saint Pierre près de Lille. Là, je suis née dans la maison de ma maman. On était quatre frères et sœurs et j’étais la plus âgée.

Je n’ai pas eu une très belle jeunesse. On n’avait pas de jouet. On n’avait pas de livre non plus car ça coûtait beaucoup d’argent.

Comme jeux, on avait des jeux de table ; un jeu de nain jaune, un jeu de petits chevaux, un jeu de cartes. Le dimanche, ma grand-mère faisait cuire des marrons et on jouait aux cartes.

On était petites, on disait rien car on trouvait ça normal. On ne rêvait à rien car nos parents n’avaient pas d’argent.

Avec ma sœur, on allait dans le jardin, on ramassait des branches d’arbustes et les pétales qui tombaient. Et sur la terre, avec les branches, on traçait une maison et on mettait les pétales de fleurs dessus. On jouait comme ça.

On a eu une seule poupée pour ma sœur et moi. Mais cette poupée avait un défaut, on ne pouvait pas l’habiller car elle avait les bras collés le long du corps. Une poupée en caoutchouc avec les bras collés on ne peut pas l’habiller. Cette poupée, on l’avait appelé madame Mairesse. Car à ce moment là, mon papa pour avoir un peu plus d’argent, le dimanche, il louait une baraque à frite au bout de la rue. Il avait repris derrière une femme qui était là avant lui. Cette dame n’était pas belle et on l’appelait madame Mairesse et notre poupée, comme elle n’était pas belle, on l’a appelée madame Mairesse.

Mon père, tous les dimanches, vendait ses frites avec des boissons et des fraises. C’était la seule distraction qu’il y avait. Devant la baraque à frite, il y avait une balançoire pour les enfants. Tous les samedis soirs, on devait éplucher de grandes bassines de patates pour que tout soit prêt pour le dimanche. Je me rappelle bien de tout ça.

A noël, à l’école, on avait eu droit chacun à une orange et un petit bonhomme en sucre. A la maison, on l’avait mis sur la fenêtre, au soir. Au matin, quand on est descendu, ce qu’on avait mis sur la fenêtre, on l’a troué dans nos souliers.

– Regardez Saint Nicolas ce qu’il a mis dans vos souliers !

On n’avait qu’une orange et que pour noël et un petit saint Nicolas en pain d’épice. On n’avait que ça, pas de jouet, rien du tout. Rien. Rien.

Je n’ai jamais sorti. Je n’ai jamais été au cinéma. Je n’ai jamais été au bal et tout ça. Mais je ne me suis jamais ennuyée dans ma vie ; petite comme grande, je ne me suis jamais ennuyée.

C’est une vie pas facile mais j’ai toujours gardé le sourire. Puis je suis contente d’avoir gardé toute ma tête. Voilà toute ma vie.

Gabrielle, 87 ans.