Quel était mon travail. Je ne me souviens plus très bien de tout mais je vais essayer de me rappeler…
Comme je ne voulais plus aller à l’école, le tailleur du pays est venu solliciter maman pour que j’aille travailler chez lui. Je faisais la couture pour lui. Puis il y a eu la guerre, il a été mobilisé et il a fermé son magasin. Il y avait une petite industrie à Villeneuve et là, j’ai travaillé dans le cuir. On faisait des ceinturons pour l’armée. On travaillait beaucoup pour l’armée à l’époque. C’est là que j’ai rencontré mon mari. J’avais dix neuf ans et lui, avait huit ans de plus.
Est-ce que vous connaissez le métier de bourrelier ? Le bourrelier, c’est celui qui faisait les harnais des chevaux. Il avait beaucoup de travail parce qu’il y avait beaucoup de chevaux. Mais après la guerre, il n’y avait plus de chevaux. Puis ça c’est modernisé avec les tracteurs qui ont beaucoup fait du mal. Il y a eu les moissonneuses, les batteuses. Plus de chevaux. Alors, il a fallu qu’il change. Il a travaillé dans la fabrication et la réparation des bâches de camion.
Puis, j’ai été enceinte de mon fils et j’ai arrêté un peu. Voilà ma vie.
Moi, je suis restée cinquante ans avec mon mari et puis je l’ai perdu. Il est mort à quatre vingt onze ans. Mais cinquante ans, ça a été pas mal quand même. C’est une chose importante pour moi.
Jusqu’à quatre vingt cinq ans, j’étais bien, mais d’un coup, j’ai tout perdu. Petit à petit, on abandonne tout.
Malheureusement, je ne suis pas la seule, il y en a d’autres comme ça. C’est triste des fois mais il faut garder le moral.
Je n’ai pas eu une grande famille, ni frère, ni soeur, j’étais fille unique et j’ai eu un seul enfant. Alors, il vient me voir mais ce n’est pas pareil que celle qui a une grande famille avec de l’affection.
Des fois, je profite des visites des uns et des autres pour passer un bon moment. Et ces personnes qui sont là, Josette et Claude, elles sont très gentilles. Elles essayent de faire plaisir aux gens et pour ça, peuchère ! C’est quelque chose de formidable. Elle donne de l’amitié aux autres et ça c’est bien.
Josette émue :
– Oh ! Pas beaucoup.
– Mais si beaucoup et c’est bien ce que vous faites Madame.
– On est là pour ça.
– Oui mais beaucoup pourrait mais ne le font pas.
Suzanne, 91 ans.