Pendant la guerre. On n’avait rien. Je travaillais dans une pièce, une véranda. L’hiver, il faisait tellement froid qu’il y avait plusieurs centimètres de glace sur les carreaux. On faisait la couture à la main, il n’y avait pas de machines. On était deux, moi et une jeune apprentie. L’hiver, il faisait froid, il n’y avait pas feu pour réchauffer la pièce. Quand tu es huit, neuf heures dans une pièce sans feu et avec trente grammes de pain par jour, c’est pas facile de tenir.
J’ai eu tellement froid aux jambes, que mes jambes ont gelé des pieds jusqu’aux genoux. J’avais les jambes couleur, violet. Il a fallu après pendant plusieurs années que je porte tous les jours des bas de laine et des guêtres de laine par dessus pour faire revenir le sang. Il a fallu quatre ans pour le sang circule à nouveau normalement mais ça m’est resté et aujourd’hui, c’est pour ça que je n’ai plus de jambes.
Vous savez, on n’avait pas beaucoup à manger. On avait trente grammes de pain par jour. C’est pas beaucoup pour une journée.
Quand ça c’est calmé un petit peu, on allait en Belgique et là, on allait chercher du café, du pain. Enfin, le nécessaire pour pouvoir manger un peu plus. Mais c’était interdit d’aller en Belgique, alors, on passait à travers champs. Si on passait sur la route on était fusillé. Ça nous faisait des sueurs ! Mais on était jeune et on avait faim.
Mon mari, alors, n’était qu’un jeune homme. A l’époque, il était tout seul avec ses parents. Il allait glaner les pommes de terre dans les champs. Il prenait son vélo, il mettait cinquante kilos de pommes de terre dessus et il ramenait ça chez lui. Quand il revenait, bien souvent, les Allemands l’attendaient et ils lui prenaient son sac de pommes de terre. Alors, il revenait, il n’avait plus rien. Il pleurait. Il pleurait. Il avait quatorze ans à ce moment là.
Un soir, je m’en souviens bien, je rentrais et là, une bombe est tombée juste devant moi, aux pieds, en plein milieu de la route. Heureusement, elle est passée dans la terre mais elle n’a pas explosé sinon, je ne serais plus là. Après, à cet endroit là, la ville de Croix a tout barré et ils ont dit :
– Cette bombe, on l’enlèvera après la guerre.
Après la guerre, ils l’ont enlevée et ils ont défait toutes les mines, tout ce qu’il y avait dans la terre.
Par moments, j’ai des souvenirs qui me reviennent, je revois tout ça.
Gabrielle, 87 ans.