Mon grand-père disait toujours que pour exister, il faut se battre, que le monde est un perpétuel combat. Ce n’était pas mon vrai grand-père, c’était le frère de mon grand-père. Mon vrai grand-père, je ne l’ai jamais connu car il est mort en 17, sur le chemin des Dames à l’offensive du général Nivelle. Mon vrai grand-père est mort juste après avoir conçu mon père lors d’une permission. Ma grand-mère était enceinte et elle s’est retrouvée veuve. Mon grand-père n’a jamais connu son fils et mon père n’a jamais connu son vrai père. Après la guerre, ma grand-mère s’est remariée avec le frère de mon grand-père. C’est comme ça que mon grand-père est aussi mon grand-oncle.

Mon grand-père m’a raconté beaucoup d’histoires sur la guerre et sur la vie. Il m’a raconté qu’il était devenu nettoyeur de tranchée pendant la grande guerre. Les nettoyeurs de tranchée, c’est ceux qui allaient dans la tranchée Allemande, une fois que la première ligne ou la deuxième ligne était passée pour achever ceux qui étaient encore en vie à la baïonnette. Il n’avait pas le choix c’était soit ça, soit le peloton d’exécution pour mutinerie si tu refusais. Il m’a raconté qu’il montait en ligne, chargé à l’alcool de betterave, pour se donner du courage.

Mon grand-père m’a raconté tout ça longtemps après, vers la fin de sa vie. C’est des gens comme lui qui m’ont appris l’importance de se battre, non pas à la guerre dont il avait complètement horreur, mais pour la vie, pour exister, pour faire le monde.

Aujourd’hui, les gens ne font plus grève, ils se suicident.

Aujourd’hui, les gens ne se battent plus, il n’y a plus de lutte, ils ne sont plus ensemble, ils sont seuls et on ne lutte pas seul.

C’est comme dans la phrase de Victor Hugo que j’avais entendue quand j’étais jeune dans la bouche de mon grand-père :

– Ceux qui vivent sont ceux qui luttent et les autres, je les plains.

Moi, ceux qu’ont jamais fait grève, ceux qu’on jamais été dans une manif, je les plains. Je les plains pour eux même déjà parce qu’ils ont raté quelque chose de fort au niveau de l’humain, au niveau de la fraternité, de l’amitié gagnée dans la lutte. Les amitiés gagnées dans la lutte, c’est des amitiés fortes qui durent toujours. Puis je les plains au niveau des autres parce qu’ils ne se sont pas battus pour faire ce monde tous ensemble, pour défendre leurs droits.

Il n’y a pas de neutralité dans la lutte quand tu ne te bats pas pour ta retraite ou pour tes idées, c’est les idées des autres qui gagnent et ils imposent leurs lois.