J’ai commencé en 1947 comme chauffeur de four à l’usine à gaz du Landy.

C’était intenable les fours. Pour dire la chaleur, c’est simple on amenait nos patates et on les posait sur la tête de batterie et elles cuisaient là. Les fours, c’était l’enfer, c’était le bagne. D’ailleurs, on nous appelait les bagnards avec nos sabots en bois.

A l’usine, les gars ne vivaient pas vieux. On avait tous de l’oxyde de carbone dans le sang. C’est une maladie qui commençait par des saignements de nez puis ça attaquait les muqueuses et la gorge et ça se transformait en cancer. Un chauffeur de four qui atteignait 60, 65 ans avait beaucoup de chance. Avoir dix ans de retraite, c’était une chance pour un chauffeur de four. Beaucoup de mes camarades sont partis à cinquante, cinquante cinq ans sans voir la retraite.

J’ai eu la chance de ne rester que sept ans aux fours et c’est pour ça que je suis encore là aujourd’hui.

Le Landy, c’était le bagne et pourtant quand l’usine a fermé, tout le monde chialait. Il y avait une tellement grande solidarité entre les gars à l’intérieur de ces usines. On était entre le Landy et le Cornillon près de sept mille travailleurs. On était sept milles mais on était comme les doigts de la main.

Lorsqu’on lançait un appel quand quelque chose n’allait plus, on allait à la sirène. Un coup de sirène et ça voulait dire :

Rendez-vous à la grue.

Au coup de sirène, tous les corps de métier s’arrêtaient et se retrouvaient au pied de la grande grue. Deux à trois milles bonhommes, en dix minutes, étaient là, pas un ne manquait à l’appel. Tout le Landy était là. Et très peu de temps après, on entendait la sirène du Cornillon et tout le Cornillon s’arrêtait à son tour. Et tous les gars étaient prêts pour la lutte.

Il y avait une solidarité terrible entre les hommes et on savait pourquoi on luttait.

On a tout fait pour que nos enfants ne vivent pas la vie de misère qu’on a vécue.

Quand j’ai milité, je me suis toujours dit :

–  Bon Dieu ! J’espère que mes enfants n’auront pas à faire ce que j’ai fait.

Aujourd’hui, on vit mieux, on vit plus longtemps, on mange mieux. Il y a quand même eu une nette amélioration de la vie grâce à toutes nos luttes.