…Je ne suis pas de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde. La souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.
Remarquez bien : Je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire.
La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain. La misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère, oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse car en pareille matière tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.
Voulez-vous savoir jusqu’où peut aller la misère ?
Je ne dis pas au Moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris au temps où nous vivons. Voulez-vous des faits ? Ils sont tristes mais nécessaires à révéler et je voudrais que tous les faits éclatent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?
Il y a dans Paris des rues, des maisons, où des familles entières vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, pour couverture que des monceaux de chiffon.
Ces derniers jours, un homme est mort de faim et l’on a constaté après sa mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Le mois passé on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les immondices.
Eh bien messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être. Je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté pour que de telles choses ne soient pas.
Je dis que de tels faits dans un pays civilisé engagent la conscience de la société toute entière, que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire…
Je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher vers ce grand but, ce but magnifique, ce but sublime :
L’Abolition de la misère.
Discours de Monsieur Victor Hugo à l’Assemblée. Juillet 1849.