En bateau, j’ai beaucoup navigué, mais je n’ai rien vu d’aussi beau que Bréhat.
Jean
En bateau, j’ai beaucoup navigué, mais je n’ai rien vu d’aussi beau que Bréhat.
Jean
Ça fait un peu plus de 20 ans que je suis là. Ici, c’est une histoire de famille. J’ai pris la suite de ma mère et, avant elle, c’était la tante de ma mère, la sœur de mon grand-père que je n’ai pas connu et avant, mon arrière grand-mère et avant, mon arrière, arrière, grand-mère. Ici, c’est un lieu qui a toujours été tenu par quelqu’un de la famille mais il n’y a personne dans la famille qui reprendra après moi, apparemment.
Ça a été ouvert en 1876 et avant d’être un café, c’était une étable pour les bêtes. D’après ce que j’ai entendu, avant, derrière, c’était des prairies qui étaient là le long du port de Loguivy, au dessus.
Le café est resté en l’état depuis 1876. Le mobilier a été changé quand j’étais gamin du temps de ma tante, il y a plus de 50 ans.
On a encore l’ancienne balance à tabac qui servait à peser le tabac à chiquer ou à priser. Il coupait des morceaux de tabac à chiquer que les gars mâchaient. C’était pas des paquets de cigarette comme aujourd’hui et il n’y avait pas autant de sortes de tabac. Aujourd’hui, on a des dizaines de marques avec dans chaque marque ; des fortes, des lights, des supers lights, des ultra lights. En tout, il paraît qu’il y a 750 sortes de paquets différents.
Ici, il vient des marins, des gens du quartier, des habitués et un peu de tout mais c’est beaucoup des professionnels de la mer, des pêcheurs, des marins de commerce ou des gars qui sont sur des plate formes pétrolières. Il y a des marins qui naviguent un peu partout dans le monde et quand ils débarquent, ils reviennent au pays et ils viennent pour boire un coup ici.
Il y aussi des retraités de la marine de commerce ou de la pêche.
Ici, c’est plutôt un lieu d’amitié. Ça parle de tout et de rien, des faits du jour, des commentaires sur un peu tout, ça rigole beaucoup. Des brèves de comptoir, il y en quelques unes, ici. La première que j’ai eue, c’est quelques jours après que j’ai repris le bar, c’était un vieux, il était midi à peu près et il y avait plein de monde. Il est entré dans le bar et il m’a demandé :
– Dis, je répare mon canote, tu vends pas du minium toi ?
– Non, Yves, j’ai pas de minium.
– Mets moi un p’tit rouge, alors, s’il te plaît.
Tout le monde a rigolé. Ce vieux, j’ai encore sa photo quelque part, il allait encore à la pêche et il relevait ses casiers avec un petit canote, d’ailleurs, il est mort dedans. Un jour, il était parti pour relever ses casiers et on l’a retrouvé mort dedans, il avait dans les 80 ans.
Il en est passé du monde ici depuis presque 140 ans. Si les murs pouvaient parler, ils en auraient des choses à raconter sûrement.
Alain, 60 ans.
Mes grands-parents avaient un bateau sablier. C’est ma grand-mère qui après la guerre a emprunté des sous et ils ont acheté un bateau pour ses fils pour faire le sable. C’était un beau bateau en bois, le Cervannick et après, mon oncle a eu le Notre Dame du Trezien.
Il remontait par la rivière du Trieux avec la marée jusqu’en dessous la Roche-Jagut, parce que là, il y avait comme une anse avec un dépôt de sable. C’était du sable pour la construction. C’était comme un bateau de pêche avec au milieu une cale à ciel ouvert carré et sur l’arrière un mât équipé d’un godet, on appelait ça un crapaud et il prenait le sable, un coup à droite, un coup à gauche et il remplissait le bateau. Après, il fallait mettre le sable à dessaler sinon ça fait du salpêtre.
Nous, gamin, on y allait pendant les vacances et quand ils remontaient le sable, il y avait des lançons dedans, alors, on les attrapaient puis on les passait dans une ficelle. J’avais une dizaine d’année, c’était en 1954.
Avec les bateaux, ils allaient aussi au large de Bréhat sur un banc de sable qu’on appelle du maërl ; le maërl, c’est un corail marin et ça sert pour l’agriculture, ça sert à amender la terre.
A l’époque, ma grand-mère tenait La Chaumière à Paimpol en gérance, c’était devant l’hôtel du Goëlo. En fait, c’était juste une cabane de bois, alors ils déposaient les tas de sable devant la Chaumière et ils vendaient le sable ou le maërl aux gens qui étaient intéressés. Des fois, il y avait des gens de plus loin que Guingamp qui étaient acheteurs. Alors, mon grand-père prenait la bourrique, c’était un petit cheval, et il traînait sa carriole de sable jusqu’à l’autre coté de Guingamp. Mon frère qui devait avoir 12 ans partait avec dès le matin. C’était encore après la guerre et il n’y avait pas de voiture ou de camion comme aujourd’hui. Ils partaient livrer le maërl et ils rentraient le soir. Quand mon grand-père rentrait le soir, la carriole était vide mais lui, il était plein, il avait pris une cuite.
Mais c’était un bon homme et il n’avait pas eu de chance. Mon grand-père était couvreur et un jour, il est tombé d’un toit sur la place du Martray. En ce temps, il n’y avait pas trop de sécurité, c’était bien avant la guerre. Suite à cette chute, mon grand-père a perdu son bras. Il ne pouvait plus être couvreur et il a continué à travailler. En ce temps là, si tu ne travaillais pas, tu n’avais rien, il n’y avait pas la sécu ni rien. Il est devenu marchand de sable. Quand il poussait sa brouette de sable, il tenait d’un coté avec son bras et de l’autre, il avait une corde passée sur le côté.
C’est par les histoires qu’on transmet le mieux aux enfants. C’est les histoires qui nous font grandir, c’est par elle qu’on apprend la vie.
Jacqueline, 72 ans.
Les histoires, ça sert à tout apprendre. Les histoires de pêcheur, ça sert à apprendre la vie d’un pêcheur si t’as envie d’être pêcheur. Ça sert dans la tête à créer un nouveau monde, ça sert à inventer un monde différent.
Martin, 10 ans
Il y a des guides qui viennent ici et qui expliquent aux touristes que le sillon de Talbert se déplace et qu’il a commencé à bouger depuis environ 30000 ans. Ce que je dis aux guides ou gens qui disent ça :
– Vous étiez là, il y a 30000 ans pour voir ?
Par contre, il y a moins longtemps, ma mère était là, mes oncles, mes tantes, et des anciens étaient là et ils m’ont raconté ce qu’il s’est passé.
Quand on dit que le sillon de Talbert bouge, c’est vrai. Mais les raisons ne sont pas que naturelles et il y en a 3.
La première, c’est les Allemands pendant la guerre. Ma mère qui n’est plus là et des anciens qui ont plus de 80 ans m’ont raconté que pendant la guerre, ils ont vu les Allemands, les Boches comme ils les appelaient, taper, creuser dans le sillon de Talbert pour prendre des tonnes et des tonnes de sable pour construire le mur de l’Atlantique. Tout les blockhaus de Plounez, de l’île à Bois et des environs ; le sable, les gravillons venaient d’ici. Les paysans du coin étaient corvéables et ils étaient obligés de travailler pour les Allemands. Il y avait une excavatrice qui creusait et qui remplissait des charrettes et des charrettes de sable et de gravillons. Une fois, l’excavatrice a été sabotée par la résistance, ma mère avait entendu l’explosion. Alors, les Allemands, le surlendemain, sont passés dans chaque maison avec le garde champêtre du coin et ils ont pris 40 jeunes pour les faire charger les charrettes à la pelle. C’est des milliers de tonnes qui ont été pris et forcément ça a modifié l’équilibre du site.
La 2ème raison, après, ça a continué parce que les paysans ont eu le droit jusqu’en 1962 de taper dans la petite grève du sillon de Talbert. Il y avait 5, 6 paysans qui avaient une concession qui leur donnait la permission de prendre du sable et ils venaient comme ça jusqu’au mois de juin. Après, ils mettaient le sable 3 à 4 ans à dessaler sous la pluie et ils le revendaient aux entrepreneurs. Ça encore, ça a fait des milliers de tonnes en moins.
La 3ème raison, et je l’ai vu de mes propres yeux, il y avait aussi 3 sabliers qui prenaient le sable sur la zone du sillon de Talbert. L’usine de Penlam, après la guerre avait acheté 2 GMC et pendant qu’il y en avait qui chargeait, l’autre déchargeait. Et là aussi, ce sont des milliers de tonnes qui ont été retirées.
Alors, quand on dit que le sillon de Talbert bouge, c’est vrai, mais les causes sont aussi liées à tout ce sable qu’on a retiré à un endroit fragile.
Cette histoire, on ne la trouve nul part dans aucun livre, à part celui que j’ai écrit il y a 4 ans, les Cahiers de la Presqu’île.
Paul, 64 ans.
Savoir les histoires, ça sert à transmettre à notre famille, à nos amis, à nos enfants plus tard. Une histoire qui n’est pas transmise, ça n’existe plus. Elle est un peu perdue. Tout le travail fait par les autres avant serait gâché.
Meven, 10 ans. Bréhat.
Quand j’étais petit et que j’ai commencé à lire, les histoires d’Anatole Le Braz, sur la mort et tout ça, ça me faisait peur.
Il y a une histoire d’un type que j’ai connu personnellement. C’était un gars qui buvait, il buvait rarement mais quand il buvait, il buvait comme un trou comme on appelle ça chez nous.
Il a été puni par une femme qui était pratiquement aveugle et que j’ai bien connue. Elle habitait à l’Armor Pleubian une maison qu’on appelait Ty Ru ; Ty, c’est pour maison et Ru, pour rouge. C’était une maison de tuiles rouges. Elle était aveugle et elle tirait les lignes de la main. Je l’ai vu faire et pratiquement tout ce qu’elle disait c’était la vérité. Quand des femmes enceintes voulaient savoir si elles allaient avoir une fille ou un garçon, elles venaient la voir et elle prenait une pièce de 5 francs et elle jetait la pièce par terre et suivant comment elle tombait, elle savais si c’était une fille ou un garçon.
Quand elle me parlait, elle était toujours assise sur ma droite et elle mettait toujours sa main gauche sur ma cuisse droite. Elle ma appris des trucs que je ne dirais pas, des trucs sur le passé, elle me tenait la main et je dormais et j’ai vu des images et des scènes incroyables.
Un jour, elle a jeté un sort à ce type qui buvait et qui se mettait saoul comme un marin Polonais. Un soir, ce gars là a pris une cuite, une biture, le mot que vous voulez, il était saoul. Il a été vers le terrain de football qui maintenant est le terrain de camping. Il ‘est allongé dans l’herbe. Quand il a voulu se lever, il y avait un petit muret d’un mètre tout autour de lui. Quand il a voulu sauter le muret, le muret a monté d’un mètre. Un mètre plus un mètre ça fait 2 mètres. Il y avait un arbre, le gars est monté dans l’arbre mais le muret est monté encore de 2 autres mètres à 4 mètres de hauteur. Il n’a jamais pu sortir du stade avant 7 ou 8 heures du matin. A chaque coup qu’il voulait escalader le muret, à chaque coup le muret montait. Il touchait le mur et le mur montait. S’il avait pu monter au haut de l’arbre de 10 mètres de haut, le muret aurait fait 15 mètres de haut.
Cette histoire, c’est le gars lui-même qui me l’a raconté quand j’avais 14, 15 ans.
Paul, 64 ans.
Imaginons, ma grand-mère a vécu une guerre ou quelque chose ; elle le raconte à ma mère qui le raconte à moi et moi, je le raconterai à mes enfants. Ce qui fait que mes enfants le raconteront à leurs enfants et ainsi de suite.
Jacques, 10 ans.
J’avais 20 ans quand la guerre c’est terminé. Nous, on était jeunes et on avait envie de se retrouver pour danser mais les bals étaient interdits pendant la guerre. Alors, il y avait des bals clandestins. Mon père ne voulait pas que ça se passe chez nous parce que c’était dangereux. Ça se faisait dans une grange et il y avait parfois un accordéoniste qui jouait tant bien que mal et les jeunes se retrouvaient entre eux.
On a vécu l’occupation Allemande et les privations. Ça a été dur, très dur.
Les Allemands, il fallait les craindre. Il y a eu des drames.
Il y a eu de la résistance et les Allemands ont déporté des hommes qu’on n’a jamais revus. Ce qui est une honte, c’est que des résistants ont été vendus par d’autres Français. C’est une honte ! Quand j’allais à la maison de retraite comme bénévole pour visiter les malades, il y avait un vieux monsieur qui avait été dans la résistance, il m’a raconté que pendant la guerre, ils avaient décidé de partir à 5 sur un bateau depuis Lézardrieux mais le matin, un des homme n’était pas arrivé. Ils sont partis mais arrivés au large de Bréhat, une vedette Allemande les attendait. Ils avaient été dénoncés par le cinquième homme. Ils ont tous été déportés et beaucoup sont morts là-bas en Allemagne. Vendre des copains pour avoir de l’argent ! Quand même ! C’est de drôles de patriotes ça !
Mais ce qui nous a le plus marqués s’est passé juste avant la libération, 3 jours plus tôt.
Il y a eu le chant des cloches à Plounez. Tout un groupe de paysans que je connaissais et qui étaient nos voisins sont partis sonner les cloches parce qu’ils avaient entendu sonner les cloches de Kérity et ils croyaient que les Allemands étaient partis.
Mais, il restait une poche d’Allemands à Plounez dans le château. Ils sont venus avec leurs mitraillettes et ils ont tiré. Il y a un jeune homme de 23 ans qui a réussi à descendre l’escalier de la tour de l’église et qui s’est sauvé à travers le cimetière. Mais il était blessé grièvement et c’est monsieur Mercier, l’instituteur qui l’a retrouvé en sang dans le cimetière. Il l’a emporté sur une brouette jusque chez lui mais il perdait tellement son sang qu’il est mort chez lui. Les autres hommes ont été arrêtés par les Allemands et emmenés par les soldats. Parmi eux, il y avait un jeune père de famille qui avait 2 petits enfants. Ils les ont emmenés on ne sait où et ils les ont tués, eux aussi. Ce n’est que bien après la guerre qu’on a su où étaient leurs corps. Car, il y avait un Polonais qui avait été enrôlé de force dans l’armée Allemande qui est revenu après la guerre à la mairie de Plounez pour dire où étaient les corps. On a déterré les corps pour leur donner une vraie sépulture. Ça nous a beaucoup marqués. Parmi les 4 hommes, j’avais un oncle. C’était terrible !
3 jours plus tard, les Américains sont arrivés. Je revois encore les chars Américains passer là, au mois d’août 1944. Je m’en rappelle très bien, comme notre ferme était à un petit kilomètre plus bas, mon père est sorti après le repas du soir et il a entendu le bruit des chars. Il est rentré et il a dit :
– Les voilà !
On est tous sortis, et, moi et mes frères, on a monté la côte en courant. On a vu les chars américains passer, ils venaient de Plestin-les-Grèves où ils avaient débarqué et ils partaient vers la Normandie. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué de voir l’arrivée des Américains après ce qui était arrivé à Plounez trois jours plus tôt.
Kergrist, Albertine, 90 ans.
Savoir les histoires, ça sert à transmettre à notre famille, à nos amis, à nos enfants plus tard. Une histoire qui n’est pas transmise, ça n’existe plus. Elle est un peu perdue. Tout le travail fait par les autres avant serait gâché.
Meven, 10 ans.