Category Archives: graines d’amour et de tendresse

Amélie, notre fille était toute petite, elle avait quatre ans. On avait été rendre visite à une tante et un oncle qui avaient un petit chien style York.

Ma fille regarde le chien et elle fait :

– Regarde papa, le chien il a des poils partout, il a des poils même sur les jambes.

Je lui fais :

– Oui, oui, c’est normal, les chiens ils ont des poils partout mais tu sais chez les chiens on dit pas les jambes, on dit les pattes.

Du haut de ses quatre ans et demi, elle me regarde avec des yeux admiratifs où on lisait :

– Qu’est-ce qu’il est intelligent mon papa !

j’avais vraiment cette impression là.

Elle regarde encore le chien, comme il faisait chaud, il haletait un peu.

– Oh ! On voit sa langue toute rose dans sa bouche.

– C’est normal ma puce parce que le chien transpire par la langue mais tu sais chez les chiens, on dit pas la bouche, on dit la gueule.

Vraiment de l’admiration dans les yeux de ma fille.

– Qu’est-ce qu’il est intelligent mon papa !

Le chien était dans les bras de ma tante et ma fille touche le bout du museau.

– Papa ! Papa c’est rigolo, son nez est tout mouillé tout froid !

– C’est normal ma puce, les chiens quand ils sont en bonne santé ils ont le nez qui est tout froid mais tu sais ma puce chez les chiens on dit pas le nez on dit La truffe.

Elle me regarde avec encore plus d’admiration, je me rappellerai toujours de cette admiration dans ses yeux.

– Vraiment mon papa c’est le plus intelligent des papas !

Elle continue de regarder le chien, comme c’était un York, il avait les poils devant les yeux.

Elle va pour dire quelque chose. Elle regarde le chien, elle me regarde, elle regarde encore le chien.

– Et les yeux, papa, comment ça s’appelle chez les chiens ?

Là, je me suis senti bête tout à coup.

Mon mari m’a rencontrée en Italie avant la guerre. Il avait treize ans et il avait des problèmes d’asthme en France. Les médecins ont dit qu’il avait besoin de grand air. Sa famille était Italienne. Il est venu en vacances dans mon village chez sa tante. On jouait toujours ensemble. Il venait manger la soupe chez nous et le dimanche, il mangeait les pates avec nous. Il ne voulait pas rentrer dans la maison de sa famille, le soir, tellement il était bien avec nous. On a passé des bons moments avec lui. Après, il devait rentrer en France. Il était triste. Il est parti avec sa petite valise sur un âne. Et moi, je me suis mise sur le chemin pour le voir plus longtemps. Il est venu me voir et on s’est dit au revoir. On s’est donné un baiser sur la joue. Et là, deux larmes ont coulé de mes yeux. Il m’a dit :

– Ces larmes, c’est comme deux gouttes d’or. Jamais je ne t’oublierais.

Et il est parti. Avec sa petite valise sur son âne. Et je l’ai regardé longtemps. Je l’ai regardé jusqu’à ce que je ne le vois plus.

Après, il y a eu la guerre et je n’ai pas eu de nouvelles. Onze ans plus tard, il ne m’avait toujours pas oublié. Il a demandé à un cousin à lui qui était venu dans notre village comment j’allais. Son cousin lui a répondu que j’étais une fille comme une autre sans plus. Mais mon mari voulait savoir si je n’étais fiancée à personne. Son cousin lui a répondu que non. Il s’est mis à m’écrire des lettres et des lettres où il me disait qu’il ne m’avait pas oubliée, qu’il se souvenait des deux perles d’or qui avait coulées de mes yeux.

Mes parents étaient contre au début. Ils avaient peur de me voir partir en France. Mais moi, je lisais les lettres en cachette et mon cœur était pris. Il est venu en vacances chez nous au mois d’août. Il est venu voir mes parents. Il venait tous les jours et il parlait. Il disait que je serais bien, qu’il avait un travail. Que je serais bien dans la maison de sa famille. Je me suis mariée en septembre. Puis mon mari m’a ramenée avec lui à Vitry sur Seine.

C’est comme ça que je suis arrivée ici, il y a soixante trois ans. C’est par amour pour mon mari que je suis venue vivre à Vitry. Sinon, jamais j’aurais quitté l’Italie. Jamais ! J’étais bien chez moi et ma famille était bien, on ne manquait de rien.

Mais l’amour c’est comme ça, c’est plus fort que tout.

Nos deux enfants sont des enfants adoptés. Le grand est né en France, il est né sous X dans la Haute Loire. Quand on l’a adopté on avait déjà commencé une démarche d’adoption en Thaïlande.

Avec ma femme, on avait voyagé dans beaucoup de pays et surtout en Asie. Partout, j’avais fait des photos de gamins. J’avais toute une collection de portraits d’enfants du monde entier. Quand on a su qu’on ne pouvait pas avoir d’enfant, c’est tout naturellement qu’on a pensé adopter un enfant venant d’Asie. On a ouvert un dossier d’adoption aussi dans notre département mais pour avoir un enfant en France, les gens attendent en moyenne sept ans. On ne voulait pas attendre si longtemps. Alors, on avait été en Thaïlande pour ouvrir un autre dossier d’adoption.

Un mois après, la DDASS de la Haute Loire nous appelle. Et ce matin là, le téléphone sonne à Neuf heures du matin pour nous annoncer que la commission s’était réunie et que notre dossier avait été retenu pour adopter un petit garçon né sous X. Moi, j’étais pas du tout préparé, dans ma tête j’allais avoir un petit asiatique et là, on m’annonce un pupille de la nation venant du Puy en Velay qui avait deux mois. Ça a été comme un coup de massue. Ma femme était là et on a parlé.

Le lundi matin, on avait eu le coup de téléphone, le lundi après-midi, on a été voir le bébé qui était dans une famille d’accueil depuis deux mois. L’enfant est placé deux mois dans une famille car la mère a deux mois pour reprendre son enfant si elle change d’avis. Le mercredi matin on a été acheter tout le matériel ; les habits, la poussette, les biberons, tout ce qu’il fallait pour un bébé. Et le mercredi après-midi, on avait le bébé définitivement à la maison. C’est comme si la gestation avait duré deux jours.

Mais on a continué notre démarche d’adoption en Thaïlande et trois ans plus tard notre second fils est venu de Thaïlande.

La grand-mère, la mère de ma femme est elle même une enfant abandonnée et elle n’a pas été adoptée. Elle avait été confiée dans une famille d’accueil où ils prenaient les gamins pour de la main d’œuvre. Elle avait une enfance très malheureuse. Quand elle a appris qu’on allait avoir notre bébé, ça a été un grand moment pour elle. Elle a pu parler. Elle avait beaucoup souffert de ne pas avoir de papa et de maman et de savoir qu’elle était grand-mère d’un enfant abandonné comme elle, ça a été le plus beau jour de sa vie.

Nous, notre surnom c’est les Mamours. C’est parti quand j’appelais mon mari petit Mamour et ça faisait rire tout le monde parce qu’il pèse cent trente kilos. C’est pour ça que je suis devenue Mamourette et qu’on nous a appelés les Mamours.

Notre histoire, c’est une belle histoire d’amour.

Le jour où mon mari m’a rencontrée, je faisais le trottoir. J’arpentais le trottoir à Troyes, j’étais fliquette. On se croisait, on se disait bonjour sur le trottoir. Ça a duré comme ça quelques mois de bonjour en bonjour.

Un jour, il est arrivé avec un énorme bouquet de fleurs. J’étais au milieu d’un carrefour et je réglais la circulation et t’as un gus qui arrive et qui t’offre un énorme bouquet de fleurs. Tu te retrouves avec ça sur les bras et toutes les bagnoles autour. Je me suis retrouvée comme une conne avec mon bouquet de fleurs au milieu de mon carrefour. Lui, il était tellement timide qu’il m’a rien dit. Il est reparti de l’autre coté de la rue et il m’a attendue. C’était superbe ! Mais c’était très gênant.

C’est comme ça qu’on s’est rencontré.

Après mon service, il m’a invitée au restaurant le soir même. Mais moi, je ne le connaissais pas même si on s’était croisés et qu’il m’avait amenée des fleurs. Alors, j’avais pris ma bombe lacrymogène au cas où. Comme ça, si ça n’allait pas, je lui en aurais foutu une giclée dans les narines. Mais il a été mignon comme tout, on s’est bien plu tout de suite.

Depuis on a une belle histoire d’amour qui continue.

Mais y a pas de secret, faut l’entretenir l’amour si on veut que ça dure. Faut pas oublier tous les jours de se dire qu’on s’aime, sinon, c’est comme les fleurs qu’on n’arrose pas, ça meurt.