J’ai commencé comme monteur électricien en 1947.
Une année, j’avais été convoqué chez le chef de centre pour un problème qu’il y avait eu chez nous et où j’avais secoué un petit peu un cadre travaux. On n’aime jamais trop ça être convoqué par le chef de centre mais j’avais l’esprit serein et la conscience tranquille. Le lendemain donc, je prends ma 4L et j’arrive au centre. C’était des places avec des bandes blanches sauf pour le chef de centre où c’était écrit Chef de centre en grandes lettres blanches. Je me gare sur sa place et je vais voir au syndicat. Je raconte à mon secrétaire de syndicat toute l’affaire et je lui demande de m’accompagner. Ça c’est une règle d’or, ne jamais aller seul à ce genre d’entretien. On monte voir le chef de centre. On rentre dans son bureau. A peine rentré, le chef de centre se met dans une colère terrible et commence à crier :
– J’apprends que c’est votre voiture qui sur ma place !
J’ai répondu :
– D’abord bonjour monsieur. Ensuite, oui, c’est bien ma voiture qui est garée en bas mais elle n’est pas sur votre place.
– Si ! Elle est sur Ma place.
– Ce n’est pas Votre place Monsieur.
– Si, c’est ma place, vous ne savez pas lire !
– Monsieur, je sais parfaitement lire, j’ai eu mon certificat d’étude alors que n’étiez pas né. Cette place ne vous appartient pas, ici, à EDF, vous êtes un agent tout comme moi. Je suis un agent comme vous et comme vous, j’ai le droit de me garer à cette place.
Là, le directeur furieux a tapé son bureau. Le secrétaire de la CGT a voulu prendre la parole mais j’ai dit au chef de centre :
– Monsieur, ici, s’il y en a un qui peut taper du poing sur la table, ce n’est pas vous mais moi car, voyez-vous, vous salissiez encore vos couches que je montais déjà en haut des poteaux.
Et j’ai donné un grand coup de poing sur son bureau et je lui ai dis :
– Ici, vous n’êtes pas dans le privé et à EDF. Ici, aucun agent n’est supérieur à un autre agent.
Puis je suis sorti en le saluant :
– Sur ce monsieur le chef de centre, au plaisir de vous revoir. Et s’il y a un problème, je reviendrais avec tous les gars des équipes et croyez-moi, je suis un des plus gentil.
Ça c’est terminé comme ça et je n’ai eu aucun ennui suite à cet entretien.
Il faut dire qu’à l’époque, on n’avait pas peur des patrons et c’est plutôt eux qui avaient peur de nous et avec raison. On avait connu la guerre, on avait peur de rien ni de personne. Il y avait une solidarité en or.
Aujourd’hui, les gens ont peur. Quand on a voulu passer pour parler aux jeunes, pour parler aux gens, pour leur dire de pas se laisser faire, pour leur raconter comment on s’était battu pour avoir tout ce qu’on avait, les gens avaient peur de nous parler en public devant leur chef. Aujourd’hui, EDF, c’est devenu la boîte de la crainte. Les gens ont peur de parler et ça ne peut pas aller comme ça. A EDF, on voit des gens qui en viennent à se suicider comme à France télécom
Moi, j’ai toujours l’habitude de die ce que je pense.
Aujourd’hui, si les choses vont de travers, c’est à cause des J’en foutre. Les J’en foutre, c’est tous ceux qui disent que ça sert à rien de se battre ou de dire ce qui ne va pas. Ça sert toujours à quelque chose de dire ce qu’on pense, ça sert toujours à quelque chose de pas se laisser faire, ça sert toujours à quelque chose, sinon, il n’y a plus d’espoir.