Je suis né en 1919. Je suis du Coiron, sur le plateau. J’étais paysan. Et je suis de souche de paysan. On était cinq ; il y avait mes parents, mes deux sœurs et moi, comme seul garçon. Mon père n’avait pas de frères.

Notre lignée dans la commune remonte au plus loin à 1160. Il y avait un curé dans le village qui me l’avait dit. Il m’avait dit :

– J’ai remonté votre lignée jusqu’à 1160.

Il m’avait dit que nous étions la famille la plus ancienne de la commune.

J’étais la seule lignée de la famille. J’ai eu une fille et ma fille a une fille et la lignée va s’arrêter là.

Quand on prend de l’âge, on se rappelle plus de ce qu’il s’est passé il y a vingt, trente ou quarante ans que ce qu’il s’est passé hier ou la semaine dernière. Ici, bien souvent, je me demande bien quel jour de la semaine on est. Je n’y vois pas assez pour voir le calendrier et je ne sais pas si on est lundi ou mercredi.

J’avais bien vu qu’il y avait de temps en temps de la brioche au petit déjeuner mais je ne m’étais pas aperçu que c’était pour le dimanche. Ah ! C’est pour ça, la brioche.

Je suis arrivé ici, il y a trois ans. Mais je languis de rentrer chez moi. On est bien ici, les gens sont gentils mais je n’arrive pas à m’y habituer. On n’est pas chez soi. Je n’ai pas de la visite tous les jours, c’est pas souvent parce que c’est loin. C’est une fois par semaine.

Des fois, ils viennent me chercher le matin et ils me montent chez moi puis ils me ramènent le soir. Ah ! Pouté ! Je voudrais que ce soit tous les jours. Parce qu’on a beau être d’où ce qu’on voudra, le pays où on est né, ça peut être le plus mauvais pays qu’il y a, mais ça reste toujours le pays où on est né.

Ici, je ne connais personne alors je ne discute pas trop. Je connais juste un peu, un ou deux avec qui je joue aux cartes, mais c’est tout.

C’est comme l’armée. Tu as le droit de faire ça mais tu n’as pas le droit de faire ce que tu veux. C’est l’armée, tu n’es pas libre.

Ce qui me déplaît le plus, c’est qu’on ne se trouve pas à plus pour discuter. On ne se trouve pas à quatre pour faire une belote bien souvent.

On ne peut pas sortir comme on veut pour se promener. On est à l’étage et il faut prendre l’ascenseur et je ne sais pas où il faudrait aller. Je n’y vois pas assez pour savoir sur quoi appuyer. Il n’y a qu’un endroit où on pourrait sortir mais il est réservé au personnel et il faut un code pour sortir. Je le savais, le code, mais, maintenant, je le sais plus, car ils l’ont changé.

Aujourd’hui, je vais rien faire du tout, c’est toujours pareil. Si on avait quelque chose à faire, ça nous distrairait, ça ferait passer le temps mais quand on n’a rien à faire, on attend. Alors, des fois, je me casse la tête pour chercher quelque chose. Quand je veux trouver une chose que j’ai oubliée, le nom de quelqu’un ou un mot, je peux y passer une heure à chercher, même plus. Il faut bien passer le temps à quelque chose.

Fabien, 92 ans.