A Traou Nez, on ne voyait personne, c’était tellement isolé. C’était au plus bas du bois, loin de tout. Il fallait pouvoir y vivre.
A Traou Nez, on n’a jamais manqué de rien. On se suffisait à nous même et on se contentait de peu, quelques vêtements, une bonne nourriture mais, une belle harmonie dans la famille. Il y avait 11 enfants et ça marchait bien.
Chaque enfant, tous les jours ou toutes les semaines, avait une corvée, un tel emmenait les vaches, il y avait la corvée de pot de chambre, la corvée de bougies, la corvée d’eau, la corvée de donner à manger aux cochons, la corvée de bois. Chacun avait sa corvée, savait ce qu’il avait à faire. Tout ce qui était dit était fait.
C’est la grand-mère qui distribuait les corvées, c’est elle qui dirigeait la maison, c’est elle qui organisait, qui gérait tout. C’était le pilier de la famille.
Pépère partait faire son boulot, de temps en temps, il piquait du nez dans son verre, à l’époque, ça se faisait. Il ne s’occupait pas des choses de la maison.
J’étais très proche de mes grands-parents.
Ma grand-mère me disait en Breton :
– Treut Sec ! Lève la tête ! Tiens-toi droit et va de l’avant !
Ma grand-mère était quelqu’un de très sensible et de très dur en même temps. La vie était très dure aussi et se plaindre ne servait à rien.
Je me rappelle quand j’accompagnais mon grand-père pour emmener les vaches. Moi, souvent, je dormais dans la grange avec le grand-père parce qu’on se levait de bonne heure, à 5 heures du matin. Mais pour moi, c’était la fête ; faire une cabane dans la paille pour dormir quand on a 5 ou 6 ans, c’est l’aventure. On partait au petit jour pour emmener les vaches. On partait par les chemins dans la forêt.
Mon grand-père me prenait la main et il me racontait tout. Il me racontait les arbres ; il connaissait chaque essence d’arbre. Il y avait les écureuils, les oiseaux. Il me racontait les oiseaux ; le bouvreuil pivoine, le chardonneret élégant, le bec croisé des sapins, le pinson, le serin cini, le verdier. Il m’expliquait comment les oiseaux se reproduisent, comment ils font leurs nids, pourquoi ils sont là, quand est-ce qu’ils arrivent, quand est-ce qu’ils partent.
Il me racontait tout ça et aujourd’hui encore, c’est dans ma tête.
Mon grand-père, c’est quelqu’un qui avait un charisme formidable ; vous prenez Lino Ventura, vous le mettez devant vous, vous avez mon grand-père. Le même ! C’était pas quelqu’un qui critiquait les autres, il parlait pas beaucoup mais il savait se faire comprendre. Il me disait quand j’avais 7, 8 ans :
– Tu sais petit, il y a des gens, tu peux les acheter à 10 heures et à 11 heures tu pourras les revendre.
Il était très philosophe, il avait une façon de dire les choses sans s’énerver jamais. Il ne se fâchait jamais avec la grand-mère, il avait une façon de lui dire les choses, incroyable !
Il m’accompagne tout le temps.
C’était quelqu’un de digne. Il avait fait une attaque vers la fin de ses jours et il ne pouvait plus marcher et il était dans un fauteuil. Alors, je lui avais fabriqué une passerelle et je l’emmenais dans ma fourgonnette pour aller dans les bois de Traou-nez.
Puis, il est mort et Mémé est partie une semaine après lui. Ils ne se sont jamais dit qu’ils s’aimaient mais on a su qu’ils s’aimaient. Quand le grand-père est parti, elle l’a dit.
Philippe, 54 ans.