Je suis une ancienne de Kergrist et je m’occupe de la chapelle depuis plus de 50 ans. Kergrist, cela veut dire, ville ou village du Christ. Au huitième siècle, on dit qu’il y avait déjà une abbaye ici avec des moines qui vivaient là.
Ici, quand les mères de famille avaient un enfant qui ne marchait pas bien à 18 mois ou 2 ans, elles venaient là à l’heure de midi dans la chapelle de Kergrist et quand l’angélus sonnait au bourg de Plounez, elles allongeaient l’enfant sur la pierre tombale. Il paraît qu’après, l’enfant marchait mieux. C’était ce qu’on racontait, c’était un on dit d’ici.
Il y a une statue de Saint Sébastien en pierre qui était autrefois sur une fontaine de l’autre coté de la route. Partout, où il y a des chapelles, il y a des fontaines pas très loin.
Cette chapelle est classée aux Beaux Arts et elle a été bénie en 1603 par l’évêque de Saint Brieuc assisté de l’abbé de l’abbaye de Beauport qui n’était pas en ruines à l’époque, elle a brûlée à la révolution française.
Là, nous avons cette statue de Saint Julien avec une tête de cerf. Moi, je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait cette tête d’homme au milieu des cornes d’un cerf. Un jour, une dame qui visitait la chapelle m’a raconté la légende de Saint Julien.
Saint Julien, au début était fils unique d’un seigneur et il habitait dans un château. Son père chassait le cerf avec une arbalète. Lui aussi, très jeune a aimé chasser et tuer des cerfs. Un jour, il a tué une biche et ses deux petits faons et à la fin, un vieux cerf a chargé sur lui mais avec son arbalète il l’a tué aussi. Le vieux cerf est venu mourir à ses pieds. Une voix humaine est sortie du cerf qui lui a dit :
- Maudit ! Maudit sois-tu ! Je me vengerai ! Tu tueras ton père et ta mère !
- Oh ! Là ! là ! Je ne ferai jamais une chose pareille !
Julien pour échapper à la malédiction n’est pas rentré chez lui. Il n’a donné aucune nouvelle à ses propres parents. Il s’est enfui, loin, très loin. Il a traversé une autre forêt et il est parti habiter un autre pays. Là-bas, il s’est marié avec une femme et il lui a fait croire que ses parents étaient morts. Un soir, Julien a été pris d’une envie de chasser le cerf dans la forêt. Il a pris ses armes et il est parti. Sa femme était restée seule dans la maison quand des gens sont arrivés. En fait, c’était les parents de Julien qui étaient à sa recherche depuis des années. Ils se sont présentés à la femme. Celle-ci leur a donnés à manger et comme ils étaient très fatigués, elle les a fait coucher pour la nuit. Mais il n’y avait qu’un seul lit, le lit conjugal où elle installe ses beaux-parents. Ensuite, elle part se reposer. Elle n’entend pas son mari qui rentre de la chasse. Lui, il ne sait pas et il entre doucement dans la chambre et dans la pénombre, il aperçoit deux têtes et deux corps dans le lit. Il a piqué une crise terrible de jalousie, il a cru que c’était sa femme avec un amant. Il a tué son père et sa mère en leur tirant dessus avec son arbalète. Sa femme est arrivée et elle lui a tout expliqué. Lui, il s’est rappelé la malédiction du cerf.
Il a tout abandonné et il s’est retiré sur les bords d’une rivière où il aidait à faire passer les lépreux. Il a vécu là en ermite et à la fin, on l’a retrouvé mort.
Il y a peut-être quelque chose de vrai dans cette histoire. On ne sait pas.
Tout ça, c’est dans notre chapelle de Kergrist.
Tous les ans, le 1er samedi de mai, nous avons notre pardon et à l’occasion, il y a des volontaires qui viennent nettoyer fleurir la chapelle. Moi, je donne les ordres, je suis trop vieille maintenant pour pouvoir faire tout ça mais je continue à ouvrir la chapelle aux visiteurs qui s’arrêtent. C’est presque tous les jours que j’ouvre à quelqu’un. J’habite juste à coté et les gens viennent me chercher chez moi et je leur ouvre bien volontiers.
Kergrist, Albertine, 90 ans.