Pour comprendre Traou Nez, vous avez besoin de connaître les gens qui y ont vécu. Traou Nez ça veut dire le nez du bois ou le bout du bois. C’est le bout du monde, ça se situe sur les bords du Trieux ; il y a Coat-ermit d’un côté, Traou Nez dans le milieu et la gare de Lancerf, de l’autre côté. Pour y venir, il faut vraiment descendre, descendre, descendre au plus profond des bois. Pour venir à l’école, les enfants allaient à pied tous les jours à plusieurs kilomètres à travers bois jusqu’à l’école de Penhoat.
A l’époque des marées, c’était les seuls moments où on voyait du monde. Les gens du village passaient par là pour aller sur le Trieux où il y avait des huîtres. C’était l’occasion de discuter pour ma grand-mère qui ne voyait jamais personne le reste du temps.
Mes grands –parents y ont vécu et moi-même.
Mon grand-père s’appelait Joseph, il est né à Néant-Sur-Yvel, près de Ploërmel, ma grand-mère s’appelait Hélène et elle est née tout à côté, à Campénéac. D’ailleurs, si un jour, vous voulez voir le diable, allez à l’église de Campénéac, entrez dans l’église, vous le verrez, il fait 1 mètre 50 de haut, tout en bois. Il est là. C’est bien la seule église où j’ai vu le diable.
Mes grands-parents se sont rencontrés dans une fête de village et ils sont tombés amoureux, ils se sont plus comme on dit.
Après, mon grand-père est devenu garde forestier à Langeais à côté de Tours. Puis il a eu une proposition pour venir ici. Ils sont arrivés en 1958.
Mon grand-père était garde forestier et exploitant forestier ; c’est lui qui s’occupait de repeupler le bois de Traou Nez quand il y avait des incendies à cause des escarbilles des trains à vapeur.
La grand-mère, elle, avait pas mal à faire, car ils avaient 11 enfants.
Ils avaient 7 ou 8 vaches mais ils ne vendaient pas le lait, c’était simplement pour la famille ; pour faire le beurre avec la baratte qu’on tournait. Avec le lait, ma grand-mère faisait des gâteaux de riz, des gâteaux de semoule. Je me souviens aller directement avec mon bol sous le pis de la vache pour me servir. Tous les ans, on tuait les 2 cochons qu’on élevait, on faisait le boudin, et tout le reste était salé dans des jarres en terre.
Il y a tellement de choses à raconter. J’ai des images plein la tête, je revois les tempêtes et les arbres qui tombent tout autour, je revois mon grand-père qui fait la sieste avec une couleuvre autour du cou, je revois des chevaux difficiles à dresser, je revois tuer le cochon.
Quand on est petit, on veut pas qu’on tue le cochon qu’on a nourri mais, on veut voir. On sent l’odeur du cochon auquel on grille les poils. On veut voir quand le grand-père tuait une génisse, il la suspendait par une patte et il lui fracassait le crâne avec une masse et après, il égorgeait la bête et le sang se mettait à couler. Vous vous cachez derrière un arbre mais vous regardez, c’est plus fort que vous, vous voulez voir. C’est cruel mais fatalement, vous êtes attiré par la scène. Vous ne voudriez pas être là mais vous voulez voir.
Ce n’est pas l’histoire historique mais ce sont des choses que j’ai vécues.
J’ai une mémoire des odeurs, des sensations olfactives par rapport à mon enfance qui me reviennent de façon incroyables ; des odeurs de fougère, on faisait des cabanes avec des fougères, des odeurs de genêts, on ramassait les genêts pour fabriquer des balais pour balayer la cour, des odeurs de paille, toutes sortes d’odeurs que je distingue encore.
J’en suis encore complètement imprégné.
Philippe, 55 ans.