Category Archives: graines d’espoir et de révolte

J’ai commencé à travailler, c’était avant la guerre, avant 36 et le front populaire, avant les nationalisations.

En ce temps-là, c’était pas difficile, c’était le travail. Tu faisais ça ou tu t’en allais. Ils te prenaient à l’essai dès treize ans. Si tu faisais pas le boulot tu étais viré.

Les patrons, c’étaient les patrons. Cette centrale où j’ai commencé, c’était une usine qui était réputée tourner avec très peu de personnel parce que les actionnaires, ils venaient fourrer leur nez sans arrêt. Les actionnaires demandaient toujours plus. C’était avant la guerre. Tout était privé.

Il y avait le moins possible de personnel et tout était fait par la centrale. Tu travaillais toute l’année et il faisait pas bon être malade.

Si tu ramenais ta fraise, tu étais viré, c’était simple.

Quand c’est le privé, c’est le privé. On travaillait 48 heures par semaine et 52 semaines par an.

En juillet 1936, la salle était pleine ce jour-là, jamais je n’avais vu autant de monde à la salle des fêtes. Juste après la signature à Paris des Accords Matignon, des délégués syndicaux de Chambéry sont arrivés en moto pour nous donner la liste de tous les acquis du Front Populaire.

Au fur et à mesure qu’ils annonçaient les nouvelles conquêtes, les gens avaient des yeux qui grossissaient, qui grossissaient.

On ne se rend plus compte aujourd’hui !

D’un coup, comme ça, quarante pour-cent d’augmentation de salaire, la semaine de quarante heures, les conventions collectives, les délégués du personnel…

Le plus drôle fut lorsque l’un des délégués annonça l’obtention des congés payés. Un paysan s’est levé au fond de la salle, la mine incrédule et a dit :

– Maïs ! Comment ça ! Non seulement, on ne va plus travailler mais en plus on va nous payer pour être en vacances !

Toute la salle a hurlé de rire !

Les gars venaient de partout pour adhérer au syndicat. Certains descendaient exprès des villages des hauts de vallée pour réclamer leur carte. Quelques jours avant les élections, tu pouvais seulement leur proposer d’adhérer ils t’envoyaient balader.

Mais là, c’était tellement énorme !

Le syndicat devenait rentable tout à coup, vu que c’est lui qui avait obtenu tous ces miracles à Matignon.

Les miracles, c’est comme ça que certains appelaient les congés payés et les quarante heures.

Et ce n’était pas faux tant ça changeait la vie des gens.

D’un coup, Paolo a sorti l’accordéon, Jeannot a pris son violon. Ça s’est mis à chanter, ça s’est mis à danser, fallait voir ça ! Ça buvait pas mal aussi.

C’est qu’après, ils n’ont plus voulu repartir. Nous, on a dû fermer la salle. Alors, ils sont allés dans les bistrots du coin pour continuer la fête.

C’est leurs femmes qui sont venues les chercher le lendemain avec les mulets. L’avoinée que certains ont pris ! Les femmes criaient :

Je t’en foutrais, moi, des congés payés ! C’est aux champs que tu vas les passer, oui et pi, rapido, grand corniaud !

Ils brillaient pas les gars…