Je suis arrivée ici en 1947. Ici, je ne parlais pas la langue, je ne connaissais personne, personne ne me connaissait. J’arrivais d’un petit village d’Italie. Je venais de me marier. Ici, j’étais perdue. Ça a été très difficile au début. Heureusement, ma nouvelle famille était très bien. J’ai été très bien accueillie. Avant dans le quartier, c’était beaucoup d’Italiens, beaucoup de familles qui vivaient là. Il y avait quelques familles de Français mais ils étaient séparés des Italiens au début. Ils nous voyaient pas d’un bon œil. On parlait tous italien entre nous. On discutait beaucoup dehors. On se donnait des nouvelles, on se racontait nos histoires.
J’ai appris le français toute seule avec ma belle famille. J’ai appris mot après mot pour dire le pain, l’eau, tout.
Dans la famille de mon mari, il avait sept frères et sœurs, tous plus jeunes que lui. Mon mari était l’aîné et tous les matins, il partait travailler et je restais avec ma belle famille. Alors, la journée, ces jeunes frères de treize, quatorze ans m’apprenaient à parler le français. Mais ils s’amusaient à m’apprendre des bêtises. Ils me disaient en Italien :
– Ce soir, quand ton mari va rentrer, il va t’embrasser, il va te caresser et il va te demander si ça va. Alors, il faudra que tu lui répondes en français, Je t’emmerde. Et tu verras comme il sera content.
Et moi, le soir, quand mon mari rentrait de son travail, quand il me demandait si ça allait, je lui répondais :
– Je t’emmerde.
Alors, il me demandait où j’avais appris ce mot et moi je lui racontais que c’était ses frères. Après, il se mettait en colère après eux et ma belle mère aussi. Mais eux, ils recommençaient et ils m’apprenaient des choses comme ça, des insultes, des mots sur le sexe que je ne peux pas dire ici.
Au début, ici, c’était les Italiens qui sont venus en premier. Puis, on a vu arriver les Espagnols et les Portugais puis les Arabes et les noirs. En Italie, dans mon village, je n’avais jamais vu de noir. C’est ici en France que j’ai vu un noir pour la première fois. Et les Chinois arrivent maintenant.
Ici, beaucoup de choses ont changé. Ici, on a vu arriver des gens de partout. Ici, il y a toujours eu des gens qui venaient de loin et ça n’a jamais empêché de s’entendre bien entre nous.