Ma plus jeune sœur est née pendant la guerre. Tout le monde était évacué sur les routes. Il y avait les voitures sur les routes. Tout le monde partait. Il y avait les avions qui bombardaient.
Maman devait accoucher de ma petite sœur mais il n’y avait pas de docteur, pas d’infirmière. On a quand même trouvé un jeune docteur mais il n’était pas fort à la page, il faisait encore ses études. Il a quand même accouché maman mais au lieu de sortir ma petite sœur avec les forceps sur les cotés du crâne, il l’a pris avec les forceps sur le derrière et le devant de la tête. Ça lui a fait un défaut dans le crâne et elle est morte à dix ans d’une tumeur au cerveau.
Au début de la guerre, je passais dans la rue Kléber à Croix pour aller travailler à ma couture quand les Allemands sont arrivés dans la ville. Ils étaient beaucoup. Ils venaient de Lille. Je n’avais que seize ans, j’étais jeune, j’avais peur. Tout le monde en avait peur. Ils ont descendu l’avenue Kléber et ils m’ont croisée, moi qui partait travailler du coté de Roubaix. Ils m’ont arrêtée. Ils étaient perdus et ils m’ont parlée en français pour me demander où était la mairie de Croix. Je leur ai dis :
– Il faut retourner sur vos pas parce que la mairie n’est pas par là mais de l’autre côté.
Je leur parlais à ses hommes mais j’avais de la misère, j’avais peur !
Ils ont pas été méchant. Ils ont rien dit et ils sont partis. Mais ils ont continué tout droit vers l’église.
Après, ils se sont installés dans l’école au bout de la rue et tous les matins quand je partais travailler, je passais devant et les Allemands criaient :
– Raus ! Raus !
Des fois, je partais travailler et ils bombardaient et il y avait des éclats d’obus qui tombaient. Normalement, il ne fallait pas être dans la rue mais nous, on devait travailler.
Quand il y a eu les Allemands, je me souviens bien. Il y avait les Allemands d’un coté et les Français de l’autre et ils se tiraient dessus, ils se battaient. Puis, il y en a eu un du côté de chez nous, de Croix, il a crié aux Allemands :
– Ecoutez, c’est les patrons qui nous ont envoyés pour se battre. Nous on s’est rien fait pour se battre. Alors, on va pas se tuer pour les patrons.
De l’autre côté, il y avait des Allemands qui avaient travaillé, avant la guerre, à Roubaix, à la lainière, et ils ont dit :
– Nous, c’est pareil.
Alors, ils ont arrêté de se battre.
Ça c’est passé ça, juste au bout de la rue. C’était au tout début de la guerre.
Gabrielle, 87 ans.