Mes grands-parents avaient un bateau sablier. C’est ma grand-mère qui après la guerre a emprunté des sous et ils ont acheté un bateau pour ses fils pour faire le sable. C’était un beau bateau en bois, le Cervannick et après, mon oncle a eu le Notre Dame du Trezien.
Il remontait par la rivière du Trieux avec la marée jusqu’en dessous la Roche-Jagut, parce que là, il y avait comme une anse avec un dépôt de sable. C’était du sable pour la construction. C’était comme un bateau de pêche avec au milieu une cale à ciel ouvert carré et sur l’arrière un mât équipé d’un godet, on appelait ça un crapaud et il prenait le sable, un coup à droite, un coup à gauche et il remplissait le bateau. Après, il fallait mettre le sable à dessaler sinon ça fait du salpêtre.
Nous, gamin, on y allait pendant les vacances et quand ils remontaient le sable, il y avait des lançons dedans, alors, on les attrapaient puis on les passait dans une ficelle. J’avais une dizaine d’année, c’était en 1954.
Avec les bateaux, ils allaient aussi au large de Bréhat sur un banc de sable qu’on appelle du maërl ; le maërl, c’est un corail marin et ça sert pour l’agriculture, ça sert à amender la terre.
A l’époque, ma grand-mère tenait La Chaumière à Paimpol en gérance, c’était devant l’hôtel du Goëlo. En fait, c’était juste une cabane de bois, alors ils déposaient les tas de sable devant la Chaumière et ils vendaient le sable ou le maërl aux gens qui étaient intéressés. Des fois, il y avait des gens de plus loin que Guingamp qui étaient acheteurs. Alors, mon grand-père prenait la bourrique, c’était un petit cheval, et il traînait sa carriole de sable jusqu’à l’autre coté de Guingamp. Mon frère qui devait avoir 12 ans partait avec dès le matin. C’était encore après la guerre et il n’y avait pas de voiture ou de camion comme aujourd’hui. Ils partaient livrer le maërl et ils rentraient le soir. Quand mon grand-père rentrait le soir, la carriole était vide mais lui, il était plein, il avait pris une cuite.
Mais c’était un bon homme et il n’avait pas eu de chance. Mon grand-père était couvreur et un jour, il est tombé d’un toit sur la place du Martray. En ce temps, il n’y avait pas trop de sécurité, c’était bien avant la guerre. Suite à cette chute, mon grand-père a perdu son bras. Il ne pouvait plus être couvreur et il a continué à travailler. En ce temps là, si tu ne travaillais pas, tu n’avais rien, il n’y avait pas la sécu ni rien. Il est devenu marchand de sable. Quand il poussait sa brouette de sable, il tenait d’un coté avec son bras et de l’autre, il avait une corde passée sur le côté.
C’est par les histoires qu’on transmet le mieux aux enfants. C’est les histoires qui nous font grandir, c’est par elle qu’on apprend la vie.
Jacqueline, 72 ans.